Chaque année, les primes maladie grimpent en raison de l’augmentation des coûts de la santé nous dit-on, mais aussi du marché des placements, des choix stratégiques de chaque caisse, de la pertinence de leurs prévisions, etc. Pour mieux comprendre le poids des différents facteurs qui pèsent sur vos primes à l’heure de changer de caisse, «Le Temps» s’est mis en quête de la formule mathématique qui se cache derrière ces augmentations.

Infographie interactive: Explorez les finances de votre caisse maladie de base

 

En réalité, chaque caisse a le droit de faire son propre calcul, la Confédération n’en vérifie que certains éléments et rien n’oblige les assurances à ne pas fixer de primes trop élevées. Cette situation a notamment permis l’immense affaire des primes payées en trop dans les cantons romands entre 1996 et 2013. Et si l’idée d’une formule unique de calcul des primes pouvait simplifier les contrôles et assurer que vous payez le prix juste pour les prestations d’assurance de base? Pour plusieurs des experts consultés par «Le Temps», l’idée mériterait d’être creusée. Explications en trois questions.


 1  Comment calcule-t-on les primes d’assurance maladie de base chaque année?

Aucune formule mathématique standardisée et commune à toutes les caisses et tous les cantons n’a été élaborée. Les primes sont estimées sur la base de pronostics et de prévisions de l’évolution de différents paramètres tels que: coûts médicaux, réserve des caisses, rentabilité de l’argent placé, solvabilité des caisses, nombre de nouveaux assurés, type de risques que représentent ces nouveaux venus, etc. La manière de calculer ces prévisions est propre à chaque caisse et plusieurs experts estiment que cela fait partie de leur «savoir-faire». Il existe tout de même un modèle de prévision de l’évolution des coûts de la santé, élaboré par l’Institut d’économie de la santé de la haute école zurichoise de Winterthour (WIG) à la demande de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), mais les caisses maladie n’ont pas d’obligation de l’utiliser.

Un calcul standardisé permettrait peut-être de comparer les prévisions effectuées par les caisses et une surveillance plus simple et plus rapide par l’OFSP. «Uniformiser les perspectives d’évolution des coûts devrait être possible», estime Fabrice Ghelfi, chef du service de l’assurance sociale et de l’hébergement à l’Etat de Vaud (SASH) et fin connaisseur des caisses maladie. «Nous avons fait quelque chose de semblable avec le calcul des prix de la pension dans les 160 EMS du canton de Vaud en tenant compte d’un nombre important de critères. Cela fonctionne très bien et permet d’uniformiser les prestations, d’assurer qu’il y a bien un lien entre le prix payé par les pensionnaires et la réalité des prestations fournies», explique-t-il. «Cela nous a aussi permis d’instaurer des outils d’alerte informatisés afin de détecter les situations problématiques et cela pourrait peut-être aussi être utile à la surveillance de l’OFSP.»

En savoir plus: réactions de plusieurs experts à cette idée de calcul standardisé

 2  En l’absence d’un calcul uniformisé, qu’est-ce que l’Office fédéral de la santé publique contrôle quand il approuve annuellement les primes fixées par les caisses?

La loi fixe un cadre en plusieurs points, c’est-à-dire le niveau minimal des réserves, la «plausibilité» des budgets des assureurs et la «gestion économique des frais d’administration». Les assurances sont tenues de transmettre une comptabilité standardisée à l’OFSP afin qu’il puisse procéder à ces contrôles.

En savoir plus: la surveillance de ces trois aspects

Malgré ces contrôles, il arrive que des caisses maladie se trompent et que personne ne détecte cette erreur de prévision. C’était le cas par exemple d’EGK, en 2012, qui avait dû augmenter massivement ses primes en cours d’année pour des raisons financières. Selon la comptabilité des caisses maladie 2014 et 2015 publiée par l’OFSP, quatre caisses ont augmenté leurs primes davantage que la proportion de leurs prestations. Sanitas a augmenté ses primes de 7% mais ses prestations de 5%, Supra de 11% contre 8%, Visana de 7% contre 5% et CSS de 4% contre 2%.

Dans la comptabilité des assurances maladie est indiqué le résultat des comptes de l’assurance. «Si le résultat est positif, cela veut dire que l’assurance a encaissé plus de primes que ce qui était nécessaire pour couvrir les coûts de cette année», explique Helga Portmann, responsable de la division surveillance de l’assurance à l’OFSP. «Mais il faut tenir compte du fait que de nombreux aspects sont imprévisibles. En 2015, les assurances ont eu des pertes importantes. Cela est en partie lié au marché des placements qui s’est effondré, c’est pourquoi les rendements du capital ont été plus modestes que les années précédentes», explique-t-elle. Malgré tout, Concordia affiche des résultats positifs records en 2014 (118 millions) et en 2015 (74 millions). Vivacare présente des gains pour 9 millions en 2015, Swica pour 5 millions. Elles sont une dizaine à avoir des résultats positifs pour les deux années consécutives. C’est-à-dire, à avoir encaissé, pendant deux ans, plus de primes que nécessaire. Interrogée par «Le Temps», Concordia répond que ces résultats sont influencés par le rendement du capital et que si l’on enlève ces fluctuations imprévisibles son compte de résultat affiche plutôt 57 millions, soit 3% des primes, ce qu’elle juge plutôt bas. «L’année prochaine, nos clients bénéficieront d’une diminution volontaire de nos réserves de 30 millions de francs», ajoute le service de communication de Concordia. «Concordia est la seule assurance maladie qui rembourse ainsi ses clients», estime-t-il.


 3  Que se passe-t-il si une caisse a trop augmenté ses primes par rapport à ses besoins?

«La caisse a la possibilité de compenser les primes l’année suivante», répond l’OFSP. «Cette compensation est facultative». Une caisse maladie n’est donc pas tenue de baisser ses primes si elle les a augmentées plus que nécessaire. Cette situation avait débouché, il y a quelques années, sur l’affaire des cantons romands – Vaud, Genève et Fribourg – qui avaient payé des primes trop élevées par rapport aux prestations fournies entre 1996 et 2013. Le remboursement de ces primes trop élevées a lieu sur trois ans, entre 2015 et 2017 pour un montant global de 800 millions, alors que les primes trop élevées payées entre 1996 et 2013 pèsent 1,6 milliard de francs. Ce remboursement n’a été possible qu’après un débat national sur le sujet.

«Ce type de problème est marginal puisque, dans l’ensemble, le 95% des primes est réellement destiné au paiement des soins médicaux», explique Felix Schneuwly. «La conséquence de primes trop chères pour la caisse, c’est qu’elle va perdre des clients.»

Le système devrait donc s’autoréguler. Cela est vrai si les primes sont trop chères par rapport à l’ensemble du marché, mais pas si elles sont trop chères par rapport à la réalité des besoins de la caisse. Et si les Suisses font réellement la démarche de changer de caisse maladie chaque année pour choisir les meilleurs marchés. Selon les sondages effectués par comparis.ch, plus d’un million de personnes devraient changer d’assurance cette année. Ce chiffre est plus élevé que d’habitude en raison de fusions d’assurances qui concernent quelque 570 000 personnes. C’est donc un Suisse sur 8 qui pourrait changer d’assurance d’ici au 30 novembre. Sans tenir compte des fusions de caisse maladie, ce ne sont que quelque 6% des Suisses qui feraient cette démarche. Un chiffre faible pour sanctionner des primes trop élevées.

Pourquoi fixer des primes trop élevées et courir le risque de perdre des assurés? Pour limiter le nombre de nouveaux assurés, par exemple. «Certaines assurances ne veulent pas attirer de nouveaux assurés parce que les changements de caisse coûtent cher», explique Stéphane Rossini. «Ainsi, on connaît le cas de caisses qui ont délibérément augmenté leurs primes de manière disproportionnée pour éviter de devoir affilier les bénéficiaires de l’aide sociale ou les requérants d’asile, qui sont des mauvais risques, ou plus simplement pour ne pas avoir d’assurés dans certains cantons.» L’absence d’un calcul standardisé des primes maladie permet aussi cette liberté aux assureurs: le choix d’une stratégie qui consiste à décourager la venue de nouveaux clients et fait artificiellement monter les primes.