Le procès BCGE au bord du gouffre
Genève
Les débats ont été temporairement suspendus dans l’attente d’une décision cantonale sur la récusation du président de la Cour
Devant la justice
Pesante était l’atmosphère lundi matin à la reprise avortée du procès des anciens dirigeants et réviseurs de la BCGE. Le désormais très bronzé et toujours aussi contesté président Jacques Delieutraz, rattrapé durant la pause des vacances d’automne par un arrêt cinglant du Tribunal fédéral sur sa possible récusation, a suspendu temporairement les débats jusqu’à jeudi. D’ici là, peut-être, ses collègues de la Cour de justice auront décidé si le premier tirage au sort des jurés potentiels a été biaisé et si cette manipulation mérite – comme le suggère déjà Mon-Repos – sa mise à l’écart.
Confrontées à cette présidence de plus en plus chancelante et à la perspective d’assister à l’annulation pure et simple de tout ce qui a été entrepris depuis le 4 octobre dernier – date de l’ouverture de ce procès de sept semaines – presque toutes les parties ont sollicité un ajournement plus ou moins prolongé.
Seul accusé à vouloir être jugé malgré les circonstances, Dominique Ducret a demandé la poursuite des débats afin de pouvoir enfin tourner la page de ces dix années de procédure. Au nom de l’Etat de Genève, partie civile, Me Eric Alves de Souza, blême de fureur, a renvoyé quant à lui le pouvoir judiciaire à ses responsabilités et donc à son devoir de trouver la meilleure solution à cette situation de grave incertitude.
Toujours très soucieux de «la sérénité des débats», le procureur général Daniel Zappelli a estimé qu’il faut attendre à tout le moins le résultat des investigations du plénum de la Cour de justice avant de se déterminer. Ce dernier doit se réunir mercredi – arrêt du TF oblige – afin d’entendre les explications du président Delieutraz et de son greffier. Les parties au procès ont d’ores et déjà été mobilisées ce même jour pour faire leurs observations. Ces avis ne seront sollicités que si une majorité du plénum souhaite se donner le temps de la réflexion et n’opte pas d’emblée pour la solution radicale d’une récusation.
Rappelons que le plénum – juridiction compétente pour trancher les demandes de récusation visant ses membres – a déjà rejeté par deux fois la mise à l’écart de Jacques Delieutraz. La première requête concernait précisément ce tirage au sort suspect car nourri d’un nombre mathématiquement improbable de fonctionnaires. La seconde requête avait trait au flou entretenu par l’intéressé autour de la collaboration d’une secrétaire-juriste qui n’est autre que la fille du président de la Fondation de valorisation des actifs de la BCGE.
On sait désormais le peu de bien que pense le TF (LT du 28.10.2010) de la décision du plénum consistant à tirer un trait sur toute irrégularité au motif qu’un second tirage au sort a été effectué dans les formes comme de tous les autres arguments avancés pour noyer le poisson.
Face à ce couperet annoncé, la BCGE, partie civile, a été la plus déterminée à demander une suspension du procès jusqu’à une éventuelle décision finale de Mon-Repos sur la récusation. Aux yeux de Me Christophe Emonet, l’avocat de la banque, il est aujourd’hui totalement déraisonnable de continuer en cas de nouveau rejet par le plénum.
Dans un tel cas de figure, la défense aura 30 jours pour saisir le TF et donc tout loisir de choisir sa stratégie en fonction du verdict qui sera rendu dans l’intervalle. «La BCGE ne peut accepter une telle situation», a ajouté l’avocat tout en déplorant la pression qui ne manquera pas de s’exercer ainsi sur la Cour et le jury. «La justice ne peut être rendue dans de telles circonstances. Elle n’y trouvera pas son compte.»
Dans une décision qui a semé une certaine confusion, le président Delieutraz a commencé par dire que toute interruption aurait le poids d’un aveu alors que lui-même entend toujours faire la preuve de la régularité de sa méthode. Malgré l’inconfort et l’incertitude qui affectent le procès depuis le premier jour, le magistrat a ajouté qu’aucun climat malsain ne s’est instauré et qu’il ne saurait en être autrement pour la suite. Au final, il a opté pour une suspension temporaire jusqu’à la décision du plénum. Rendez-vous a été fixé pour faire le point le 4 novembre.
La défense s’est contentée de relever sobrement une «vaste gabegie». Avec quelques coups d’avance sur une magistrature à la traîne, celle-ci pense déjà aux réparations qui pourraient, si le procès venait à être annulé, être demandées à l’Etat de Genève – responsable pour les fautes commises par ses employés – afin de couvrir les frais liés à ces trois semaines d’audience. L’Etat, qui allègue déjà un préjudice de 2,3 milliards de francs dans la débâcle de la BCGE, se retrouvant à devoir encore payer pour les errements du pouvoir judiciaire? La perspective laisse augurer quelques frictions.