Le procès BCGE condamné à la pagaille
Genève
Un climat de règlements de compte généralisés s’est installé autour de ce vaste couac judiciaire
Il aurait pu rêver meilleurs thèmes que la récusation d’un confrère et l’effondrement du procès BCGE pour sa première confrontation solitaire avec la presse. Louis Peila, président de la Cour de justice, a accompli jeudi cet exercice périlleux avec une habileté certaine. Il lui en faudra encore une bonne dose pour pacifier les relations entre les pouvoirs, organiser un nouveau procès dans des délais acceptables, prévenir tous les coups que prépare déjà une défense bien rodée et restaurer l’image écornée de l’institution.
Le plus dur a sans doute été l’aveu. Louis Peila a dû expliquer que le président du procès BCGE, le désormais célèbre Jacques Delieutraz, s’était bien prêté à une manipulation en écartant certaines fiches lors du tirage au sort des jurés potentiels. A ses yeux, un candidat de profession libérale présentait un risque de défaillance plus grand. L’ampleur de ce bricolage? Trois ou quatre fiches, dit aujourd’hui l’autorité. Ce qui ne pourra sans doute jamais être vérifié. Cela n’a d’ailleurs pas grande importance. Une seule aurait suffi pour créer le problème qui a conduit à la récusation.
L’aveu n’est toutefois pas complet. Il ne sera ainsi pas dit publiquement que le plénum savait tout de cette manipulation avant une première décision en forme de pirouette stratégique visant à sauver la tenue du procès. Sur ce point sensible, Louis Peila choisit d’invoquer son ignorance. Il était absent lorsque la demande de récusation a été refusée et il n’a donc pas entendu le petit exposé oral du juge Delieutraz. Une explication qui n’a au demeurant pas fait l’objet d’un procès-verbal puisque la procédure ne le prévoit pas. C’était avant le diktat du Tribunal fédéral imposant une audition formelle pour faire la lumière sur ce tirage suspect.
Au-delà des répercussions sur le dossier BCGE, cette affaire pouvait faire craindre l’ouverture d’une brèche vertigineuse: une avalanche de demandes de révision pour des procès antérieurs viciés par de telles irrégularités. Là encore, Louis Peila s’est voulu confiant. «Jusqu’à plus ample informé, ce cas est tout à fait unique.» La question a été posée au juge Delieutraz, qui a assuré que c’était une première.
Voilà pour le passé. L’avenir s’annonce encore plus compliqué. L’organisation d’un nouveau procès dans des délais rapides est devenue le souci principal du patron de la juridiction. Un véritable casse-tête.
Il faudra déjà trouver un président qui n’a jamais pris de décision dans cette longue procédure et qui n’a pas de motifs personnels de récusation à faire valoir. Il s’agira aussi de déterminer si ce procès peut s’ouvrir avant la fin de l’année avec un jury ou s’il faut attendre 2011 et son nouveau Tribunal pénal de première instance avec la perspective d’une prescription partielle des faits à l’automne. Enfin, il faudra se demander si tous les magistrats qui ont participé aux deux plénums consacrés à la récusation du juge Delieutraz ne sont désormais pas eux-mêmes récusables. La Cour estime que non. La défense pensera peut-être autre chose.
Une défense qui, tout en assurant ne pas jouer la montre, réitère déjà sa demande de jonction avec le dossier impliquant le promoteur Carlo Lavizzari, opération susceptible de gripper sérieusement la machine. Et ce n’est sans doute que le hors-d’œuvre. La colère du Conseil d’Etat – qui a publiquement déploré mercredi l’interruption du procès – donnera sans doute d’autres idées aux avocats. Dans un communiqué, ceux-ci expliquent en substance que cette intrusion «subversive et scandaleuse» rend «la reprise du procès aléatoire». Ils défendent même – c’est un comble – le pouvoir judiciaire contre les reproches malvenus d’un Etat qui, comme partie civile, a lui aussi poussé à la tenue du procès malgré la problématique de la récusation.
De ce climat de règlements de compte généralisés, on ne peut tirer qu’une seule certitude. Si le procès BCGE se tient un jour, il ne sera jamais serein.