Crise économique
Comment faire face aux coûts générés par la crise? Sur le plan fédéral, le moment est venu de découvrir les vertus inutilisées du frein à l’endettement, estiment plusieurs experts en finances

La crise sanitaire et ses conséquences économiques et financières entraîneront-elles une hausse des impôts? La question se posera certainement dans les cantons, elle se présente de manière particulière sur le plan fédéral. Pour une raison précise: le frein à l’endettement. Depuis son introduction en 2003, ce mécanisme de rééquilibrage des budgets a permis de mettre de côté des sommes considérables. En tout cas théoriquement, les excédents étant destinés à compenser d’éventuels déficits conjoncturels et à réduire la dette.
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Grâce à ce système, la dette de la Confédération a été ramenée de 125 à 97 milliards. Chaque année, un plafond est fixé pour les dépenses et la Confédération connaît ainsi la marge de manœuvre dont elle dispose pour gérer son budget. A la fin de 2019, le cumul des excédents théoriquement disponibles atteignait 32 milliards de francs. «C’est un coussin très épais», commente Nils Soguel, professeur de finances publiques à l’Institut de hautes études en administration publique (Idheap) de l’Université de Lausanne.
Quarante milliards de cautions remboursables
Les critères du frein à l’endettement ne seront pas respectés cette année. «Le déficit prévisible ne sera pas dans les clous», acquiesce Nils Soguel. Le découvert exact est encore difficile à estimer. Le ministre des Finances évoque une fourchette se situant entre 30 et 50 milliards. Cela dépendra de plusieurs facteurs: la durée de la crise, la baisse des recettes de l’impôt fédéral direct (IFD), de la TVA et de l’impôt anticipé, la hausse des dépenses de l’assurance chômage.
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Cette semaine, les Chambres fédérales, réunies en session extraordinaire, sont invitées à approuver a posteriori les crédits urgents libérés par la Délégation des finances (DélFin). Il s’agit principalement des sommes destinées à financer les cautionnements pour les PME. Des 40 milliards prévus, 30 ont été validés par la DélFin et 17 ont déjà été attribués aux entreprises. Ces prêts sont en principe remboursables sans intérêt. Mais tout dépendra de la capacité des commerces et restaurants concernés à les rembourser dans un délai de cinq ans (ou sept ans pour les cas de rigueur).
16,1 milliards de dépenses supplémentaires
Dans l’immédiat, le budget 2020 se voit alourdi de 16,1 milliards de dépenses, selon les chiffres de l’Administration fédérale des finances (AFF). Les principaux postes concernent l’assurance chômage (6 milliards), les allocations pour perte de gain (APG, 5,3 milliards), les achats de matériel de protection par la pharmacie de l’armée (2,45 milliards), les pertes sur cautionnements prévues cette année (1 milliard) et le soutien à l’aviation (600 millions, plus 1,275 millions de prêts aux compagnies aériennes).
La Confédération peut théoriquement dépenser jusqu’à 50% de plus que d’habitude sans renier l'esprit du frein à l'endettement
Comment la Confédération va-t-elle digérer cela? «Grâce à son taux d’endettement bas, la Suisse continuera de respecter les critères de Maastricht, alors que beaucoup d’autres pays ne seront pas en mesure de le faire», diagnostique Daniel Brélaz (Verts/VD), membre de la Commission des finances. Le Traité de Maastricht, que Nils Soguel qualifie de «totem autour duquel on danse», impose un taux d’endettement public maximal de 60% par rapport au produit intérieur brut. Celui de la Suisse, tous niveaux de l’Etat confondus, était inférieur à 30% en 2019.
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Pas le moment d’augmenter les impôts
«Avec ce coussin, la Confédération peut théoriquement dépenser jusqu’à 50% de plus que d’habitude sans renier l'esprit du frein à l'endettement», poursuit Nils Soguel. La condition: suspendre son application stricte ou, comme le suggère Olivier Feller (PLR/VD), prolonger le délai de remboursement, fixé à six ans dans la loi.
Avec cet instrument, la Suisse dispose d’une marge de manœuvre qui devrait lui éviter de déclencher l’un de ces programmes d’économies régulièrement évoqués par Ueli Maurer ou prononcer une hausse des impôts fédéraux. Celle-ci tomberait mal. «Ce n’est pas le moment de ponctionner davantage l’économie et les ménages», décrète Olivier Feller, lui aussi membre de la commission financière. «Ce serait délicat», admet Daniel Brélaz.
Le PS s’en prend aux plus fortunés
Un parti réclame davantage de recettes pour faire face à la crise: le PS. Il a présenté une stratégie de sortie de crise qui demande aux contribuables aisés et aux entreprises bénéficiaires de passer à la caisse. Leurs propositions: une hausse linéaire de 10% de l’IFD dès 300 000 francs de revenu imposable, un supplément de solidarité de 5% sur l’imposition des bénéfices des entreprises, la taxation entière des dividendes, un impôt sur les successions dépassant 10 millions de francs, un impôt de solidarité sur les fortunes supérieures à 500 millions (le document publié par le PS parle de «500 milliards», mais c'est une erreur), ainsi qu’un versement unique de la BNS pour soutenir les assurances sociales.
Le PS risque de se retrouver bien seul à défendre ces relèvements fiscaux. La droite s’y oppose. Même Daniel Brélaz est perplexe. Notamment parce que la crise va placer les assurances sociales face à des grands défis: les contributions paritaires vont diminuer, les recettes de la TVA – dont une partie est reversée à l’AVS – également. Des hausses de cotisations seront peut-être nécessaires. C’est pourquoi la majorité du monde politique se croise les doigts en espérant que le frein à l’endettement permette de sortir de cette mauvaise passe. Quitte à ce que cela prenne plus de temps que prévu.