Psychodrame à la Cour de justice

Genève Un poste à la chambre administrative sème la discorde

Le juge Daniel Devaud s’obstine

C’est un cadeau empoisonné. Il incombe désormais au plénum de la Cour de justice de désigner les magistrats qui siégeront comme juges administratifs à Genève tout en tenant compte «de l’équilibre des sensibilités politiques». Le premier essai a déjà viré au drame. Le tenace, atypique et très à gauche Daniel Devaud n’accepte pas que sa candidature ait été sacrifiée à des considérations partisanes et le fait savoir à ses collègues à grand renfort de courriels. Il a recouru pour obtenir la reconnaissance de son «élection» et l’annulation de celle du juge PDC Jean-Marc Verniory qui préside actuellement le procès BCGE. Lourde ambiance.

Jusqu’à cette année 2011 et sa complète réorganisation judiciaire, le peuple tous les six ans ou le Grand Conseil en cours de législature décidaient de la composition de ce qui s’appelait encore le Tribunal administratif. En principe seulement. Car en pratique, lorsque le nombre de candidats était égal au nombre de sièges à repourvoir, l’élection pouvait se faire de manière tacite après avoir passé le filtre des tractations en coulisses.

En raison de l’importance des litiges soumis à ces 5 juges, appelés à se prononcer en plénum sur les questions les plus sensibles que sont notamment les élections, les votations ou encore les décisions du Conseil d’Etat, la composition du TA a toujours fait l’objet d’un savant dosage. Le dernier en date aligne un siège libéral, un radical (désormais deux libéraux-radicaux), un PDC, un Vert et un socialiste.

En intégrant le TA à la Cour de justice sous la nouvelle dénomination de chambre administrative, le parlement s’est privé d’un droit de regard sur la désignation des magistrats qui s’opère désormais à l’interne. Pas complètement toutefois. La loi d’organisation donne des lignes directrices pour la plénière.

De manière générale, l’expérience et la compétence doivent désormais primer sur l’ancienneté. Et de manière spécifique, la désignation des juges administratifs doit respecter un certain équilibre politique. Une notion qui reste assez floue. «Cette disposition n’était pas prévue au départ. Elle a été ajoutée pour apaiser certaines craintes et renforcer la légitimité de cette chambre vis-à-vis de l’extérieur», précise le député Olivier Jornot (PLR). Pour ce dernier, «l’équilibre est atteint lorsque la majorité des juges désignés correspond à la majorité politique du Grand Conseil». En d’autres termes, «celle-ci doit rester de droite».

C’est un avis que semble avoir partagé une courte majorité du plénum (lire ci-dessous) en refusant le poste au juge Devaud qui avait pour lui son ancienneté et ses indiscutables compétences. Son étiquette Alliance de gauche (parti non représenté au niveau cantonal) a encore desservi ce magistrat qui a longtemps été, en sa qualité de juge financier, la bête noire des avocats et de certains prévenus. Ceux du procès BCGE, notamment, qui ne ratent pas une occasion de rappeler son obstination.

Désormais, ce sont ses 32 collègues de la Cour et autant de suppléants qui expérimentent cet entêtement. Depuis trois mois, Daniel Devaud, qui ne souhaite pas s’exprimer publiquement sur cette affaire, inonde (un suppléant a d’ailleurs saisi l’organe disciplinaire pour dénoncer cette manière de faire) les messageries de ses analyses juridiques et de ses états d’âme.

En substance, le magistrat estime qu’en tant que seul candidat au moment du premier plénum, il aurait dû être élu tacitement comme le prévoit le règlement interne de la juridiction. Il conclut donc aussi à l’impossibilité d’attribuer ce poste déjà pris à Jean-Marc Verniory, «l’ancien juriste de la Couronne», selon la terminologie en vigueur pour désigner cet ancien directeur adjoint des affaires juridiques de la Chancellerie. Daniel Devaud envisage même de demander des mesures provisionnelles pour l’empêcher de siéger avant l’issue de son recours.

Une contestation qu’il estime possible contre l’avis du plénum selon lequel l’allocation des postes et des personnes (une précision qui sera apportée par un nouveau texte de loi) équivaut à une décision organisationnelle non susceptible de recours. C’est la chambre administrative composée de suppléants (dont plusieurs font déjà l’objet d’une demande de récusation de la part du juge Devaud) qui tranchera.

En attendant, la Cour de justice vit des moments difficiles. Le juge Devaud aussi, lui qui se retrouve de plus en plus isolé et confronté à un silence pesant. Une élection à la Cour des comptes – il est candidat – pourrait sortir le palais de ce conflit sans issue positive possible.

«La majorité des juges désignés doit correspondre à celle du Grand Conseil et donc rester de droite»