Migration
La mise au jour d’un accord technique entre Berne et Pékin pour permettre à des agents de la sécurité chinoise de se rendre en Suisse suscite de vives réactions. Mario Gattiker, le directeur du SEM, s’en explique

C’est à la demande expresse de la Suisse que Berne et Pékin ont signé, fin 2015, un accord permettant à des agents de la sécurité chinoise d’interroger de présumés Chinois en situation irrégulière sur le territoire suisse afin de procéder à leur renvoi. «Il faut bien comprendre que c’est dans l’intérêt de la Suisse, et non pas de la Chine. Ces experts viennent à notre invitation», explique Mario Gattiker, le directeur du Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM), suite aux informations de la Neue Zürcher Zeitung évoquant un «accord secret». Le SEM précise que cet «accord technique» est transparent, le parlement ayant été informé et le document étant disponible sur son site.
43 renvois
Que dit ce texte? La Suisse peut «inviter en tant qu’experts sans statut officiel» deux personnes «expérimentées» du Ministère chinois de la sécurité publique pour une durée maximale de deux semaines afin d’assister l’administration suisse dans son travail d’identification. Les frais sont pris en charge par Berne. Précision importante: les données personnelles des individus sujets à enquête ne peuvent être transmises à une tierce personne et ne peuvent être utilisées qu’à la seule fin de leur identification. La base légale de cet accord est la loi sur l’asile et les étrangers. «Nous avons une politique migratoire cohérente, argumente Mario Gattiker. Soit la personne a droit à une protection, dans le respect de notre tradition humanitaire, soit elle doit quitter la Suisse. C’est une décision de la population et du parlement.» Et pour procéder au renvoi d’une personne, l’on doit s’assurer de son identité, en accord avec le droit international.
Depuis fin 2015, la Suisse a procédé à 43 renvois de personnes en situation illégale vers la Chine, dont une dizaine de requérants d’asile déboutés
Depuis l’entrée en vigueur de cet accord, Berne n’a invité qu’à une seule reprise des agents de la sécurité chinoise, c’était en 2016. Depuis fin 2015, la Suisse a procédé à 43 renvois de personnes en situation illégale vers la Chine, dont une dizaine de requérants d’asile déboutés. Berne ne précise pas les raisons du renvoi à la partie chinoise. La Suisse a établi des accords avec une soixantaine d’Etats afin de faciliter les décisions de renvois. Il en existe avec l’Inde, la Russie, de nombreux pays africains ou encore avec la Turquie, ce dernier étant informel. Autant de pays où l’Etat de droit peut être problématique. «Ce n’est pas la situation politique en général d’un pays qui détermine si la personne peut rester ou non, précise le directeur du SEM. Nous tenons compte des cas individuels et des risques de persécution qu’ils encourent. Chaque cas fait l’objet d’un examen individuel et minutieux. Nous avons d’excellents experts qui réalisent cet examen. En cas de doute, celui-ci profite au requérant.»
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Réaction du parlement
Plusieurs ONG ont réagi à l’évocation de cet accord en pointant du doigt la dégradation de la situation des droits de l’homme en Chine et à Hongkong. La situation du Xinjiang, comme en attestent des rapports de l’ONU, est particulièrement préoccupante. La Commission de politique extérieure du Conseil national a invité Mario Gattiker à s’expliquer en début de semaine. L’un de ses membres, Yves Nidegger, s’est étonné sur les ondes de la RTS que des agents étrangers puissent ainsi opérer sur sol suisse. Son parti, l’UDC, soutient toutefois cette approche en tant que principale force politique prônant une stricte politique migratoire. «Cet accord pose un risque pour la Suisse et sa politique étrangère, explique pour sa part Fabian Molina (PS/ZH), également membre de cette commission. Comment s’assure-t-on de la sécurité des personnes renvoyées en Chine? Comment sait-on si la Chine n’envoie pas des espions? Comment protéger les données des personnes?» «Le débat n’est pas terminé», a expliqué au Tages-Anzeiger la présidente de la commission, Tiana Angelina Moser (Vert’libéraux/ZH), alors que l’arrangement négocié par le SEM doit être renouvelé en fin d’année.
Longtemps, la Suisse a été confrontée à des difficultés de renvoi de personnes illégales vers la Chine, cette dernière refusant de coopérer. Sur la question de l’asile, Mario Gattiker précise que les Tibétains sont une catégorie à part, suite à une décision du Tribunal fédéral administratif. Au vu de la «vulnérabilité de cette ethnie», aucun Tibétain n’est renvoyé en Chine. Et qu’en est-il des Ouïgours? Ils ne bénéficient pas de la même protection, mais il est «hautement probable» qu’ils obtiennent la protection de la Suisse. «A ce jour, je n’ai connaissance d’aucun renvoi d’Ouïgour.»