En août 2017: Un nouveau cas de maltraitance d’animaux en Thurgovie
«L’Etat a fini par perdre son autorité»
Comment est-ce possible? C’est à cette question que devait répondre la commission d’enquête indépendante mise sur pied en octobre 2017 par le gouvernement thurgovien, avec à sa tête l’ancien conseiller d’Etat Hanspeter Uster. Quatorze mois plus tard, mercredi, les experts ont livré un constat sévère: non seulement l’Office vétérinaire cantonal, mais l’ensemble de l’administration cantonale, la police, la justice et le gouvernement ont échoué à mettre fin au «cas Hefenhofen».
Une interdiction de détenir des animaux aurait dû être prononcée contre Ulrich K. en 2007 et en 2009 déjà, estime la commission. Mais les autorités ont multiplié les erreurs de jugement et les faux pas juridiques. La commission identifie trois problèmes: la stratégie de désescalade des autorités, qui ont, à tort, privilégié la médiation à la répression. La mauvaise évaluation de l’ancien ministre Kaspar Shläpfer – en 2013, il s’était montré réfractaire à prononcer une interdiction de posséder des animaux contre Ultrich K., car il jugeait cette mesure disproportionnée et trop coûteuse. Le service vétérinaire avait alors ordonné la réduction de l’exploitation de 120 à 60 bêtes, sans que cela n’apporte d’amélioration. Enfin, la peur des représailles des fonctionnaires, constamment menacés par l’éleveur de chevaux, a joué un rôle important dans la passivité des autorités.
En marge d'une votation en novembre 2018** :**Objectif «zéro souffrance animale» dans nos assiettes
Des fonctionnaires menacés
Ulrich K., un homme revêche aux élans colériques, père de huit enfants, n’hésitait pas à user de menaces et d’intimidations à l’encontre des fonctionnaires qui s’aventuraient sur sa propriété. Comme en octobre 2009, lorsqu’il brandit un pistolet, qui s’avérera factice, pour faire fuir le vétérinaire cantonal lors d’un contrôle. Ou encore ce jour d’été 2015: après avoir décidé d’abattre un poulain blessé sans respecter la procédure et l’avoir saigné à l’aide d’un couteau, il déclare devant un fonctionnaire, son outil tranchant ensanglanté en main, qu’il «sait comment faire la peau au vétérinaire cantonal». Le «sentiment subjectif de ne pas être protégé» s’est propagé au sein de l’administration, souligne le rapport.
Dans cette affaire, «l’Etat a fini par perdre son autorité», a ajouté hier Hanspeter Uster. Pourtant, les occasions de mettre fin aux pratiques d’Ulrich K. n’ont pas manqué. L’homme avait été condamné pour maltraitance envers les animaux à plusieurs reprises. Les problèmes d’hygiène, le confinement des bêtes, la sous-nutrition, ou encore l’absence de soins et le mépris du bien-être animal de la part de l’éleveur avaient été documentés dans des jugements. «Tout cela montrait déjà le besoin urgent d’agir», estiment les experts. Mais, lorsque l’Office vétérinaire décide finalement, en 2014, de prononcer une interdiction totale de détenir des animaux, un vice de procédure rendra cette décision caduque. Ulrich K. n’avait pas pu consulter son dossier durant la période de recours. Erreur, déclare le Tribunal fédéral, qui casse la mesure.
Une opinion: Il est temps de prendre le spécisme au sérieux
Expert juridique
Dans leurs conclusions, les experts recommandent une standardisation des contrôles, ou encore une meilleure coordination entre les différents services concernés. Le gouvernement thurgovien, de son côté, s’est déclaré «bouleversé» par ce cas. «Le Conseil d’Etat a sous-estimé l’ampleur du problème. Il ne laissera plus une telle situation se produire», a déclaré la présidente, Cornelia Komposch, avant de présenter des excuses pour la souffrance animale générée et les erreurs commises. Parmi les mesures déjà adoptées, l’exécutif cite le renforcement des compétences de l’Office vétérinaire cantonal, avec la création d’un poste de juriste. Le gouvernement cantonal a évalué le coût de cette affaire à 818 000 francs pour le canton.
Le cas d’Hefenhofen a soulevé une vague d’indignation bien au-delà des frontières thurgoviennes et jeté le doute sur l’application de la loi sur la protection animale, aux mains des cantons. Le thème des maltraitances sur les exploitations agricoles a depuis fait l’objet de plusieurs interventions à Berne. Après l’adoption d’une motion de la députée socialiste Martina Munz par l’Assemblée fédérale, les contrôles inopinés dans les exploitations problématiques devraient être renforcés en 2020. Hasard du calendrier, le Conseil fédéral a adopté mercredi cette mesure dans une série de modifications d'ordonnances agricoles.