Le non tonitruant que les Suisses ont opposé dimanche à la RIE III n’a pas encore fini de résonner que, déjà, les propositions fusent à gauche comme à droite pour redéfinir un projet de réforme susceptible de passer la rampe. Ragaillardie par sa victoire, la gauche avance une série de mesures qui obéissent à un double credo: «Limiter les pertes et le transfert de la charge fiscale vers les personnes physiques», résume le conseiller national Roger Nordmann (PS/VD). Pour la droite, l’objectif est de sauver ce qui peut encore l’être d’une réforme pensée pour accroître la compétitivité de la Suisse. Adversaires et partisans d’hier ont peu de temps pour réussir l’exercice obligatoire du compromis, faute de quoi la Suisse ne pourra pas tenir ses engagements internationaux, c’est-à-dire supprimer ses statuts fiscaux spéciaux au 1er janvier 2019. Tour d’horizon cumulatif des solutions avancées.

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1. Supprimer la NID

C’est le vilain mot de la campagne. La NID, ou déduction des intérêts notionnels. Une mesure pour laquelle les milieux économiques – economiesuisse en tête – avaient beaucoup poussé et qui est devenue le symbole par excellence du gadget fiscal de trop. Combattue par la gauche, la NID semble désormais fédérer contre elle une opposition large, y compris dans le camp bourgeois. «Il faut la supprimer, pour trois raisons, estime le conseiller national PDC et maire de Genève, Guillaume Barazzone. D’abord parce qu’elle a été violemment décriée dans la campagne. Ensuite, parce que sa conformité au standard fait encore débat au niveau international. Et enfin parce qu’elle ne concerne principalement que quelques cantons.» Zurich et Vaud, pour ne pas les nommer, se sont en effet battus pour ce régime, qu’ils espéraient proposer aux sociétés fortement capitalisées, à commencer par Nestlé. Ils auront fort à faire pour avoir gain de cause dans la négociation qui s’ouvre. Selon les chiffres officiels, la suppression de la NID ferait économiser 220 millions de francs à la Confédération.


2. Augmenter l’imposition des dividendes

Même si l’USAM ne veut pas en entendre parler, la réévaluation, à la hausse, de l’imposition des dividendes est à nouveau sur la table. Lors des débats parlementaires, la droite avait évacué l’idée de fixer à 70% le plancher de la part des dividendes imposables. Le principe fait aujourd’hui son grand retour. «Je propose un plancher harmonisé au niveau fédéral, avance Guillaume Barazzone. Dans certains cantons, le plancher est à 50%, voire moins. Dans d’autres, il est déjà à 70%. Je penche pour un plancher à 65%.» Enhardi par la victoire, Roger Nordmann avance, lui, un plancher à 80%. Et rappelle que, selon les chiffres officiels toujours, un plancher à 70% rapporterait 300 millions aux cantons et 75 millions à la Confédération.


3. Réintroduire l’imposition des gains en capital

C’était une des propositions les plus décriées de la première mouture de la réforme proposée par Eveline Widmer-Schlumpf et le camp bourgeois pensait s’en être débarrassé. Un peu vite peut-être: sitôt le résultat tombé dimanche, le président du PS suisse, Christian Levrat a plaidé pour la réintroduction de l’imposition des gains en capital. En clair, les plus-values sur les ventes de titres entreraient dans le champ de l’impôt sur le revenu. Selon les chiffres fournis par Berne en 2014, La mesure rapporterait quelque 317 millions à la Confédération et 774 millions aux cantons. Pour Roger Nordmann, «il s’agit probablement de la meilleure option pour un contre-financement de la réforme». Unanimement opposée à la mesure, la droite ne se laissera pourtant pas convaincre facilement. «Cela mettrait inévitablement à mal la compétitivité économique et financière de la Suisse», estime Guillaume Barazzone.


4. Redimensionner la déduction pour les frais de recherche et développement (R&D)

Exit la «superdéduction», la déduction simple fait son grand retour. «L’idée de pouvoir déduire des frais de R&D, quand les activités ont lieu en Suisse, doit être maintenue, estime Guillaume Barazzone. Mais il faut peut-être redimensionner les choses et revenir à une déductibilité à 100% et non plus à 150%. En clair, un franc déductible pour un franc dépensé, et non plus 1 franc 50.» Pour le Genevois, ce redimensionnement doit être fait «pour des raisons politiques, sachant que cela nous rendra moins compétitifs que certains pays voisins». Pour Roger Nordmann, «il faut articuler la discussion avec une redéfinition de la patent box, aujourd’hui trop large. Peut-être qu’une forme allégée de superdéduction est un meilleur outil que la patent box».


5. Repenser la patent box

Régime d’imposition privilégiée des revenus de la propriété intellectuelle, la patent box était la vedette de la réforme refusée par les Suisses. Y compris à Bâle, où la patent box devait être l’outil sur-mesure pour les pharmas. «Le législateur avait élargi la définition des revenus éligibles à la patent box, en y incluant les inventions, dans le domaine informatique, par exemple. Il faut peut-être revenir à une définition plus stricte, à savoir limiter la patent box aux seuls produits d’exploitation des brevets.» A l’exception de quelques voix éparses au PLR, Guillaume Barazzone est pour l’instant assez seul à droite à évoquer cette possibilité.


6. Des garanties pour les villes

Le rejet de la RIE III est une victoire de la gauche, mais aussi des villes, qui, en l’absence de compensations assurées, craignaient pour leurs recettes fiscales. C’est donc logiquement qu’elles demandent à présent à être associées aux travaux ainsi que des garanties que d’éventuelles pertes fiscales seront compensées par les cantons. C’est par exemple la position défendue par la grande argentière lausannoise Florence Germond ou son homologue biennoise Silvia Steidle. Guillaume Barazzone abonde: «Il faut que la loi fédérale prenne en compte les intérêts des communes et des villes». A l’image de la stratégie cantonale retenue à Genève, qui prévoit une rétrocession aux communes de 20% des compensations fédérales.


7. Un taux plancher d’imposition du bénéfice

Le sujet est presque tabou à droite, fédéralisme oblige: fixer dans la loi fédérale un taux plancher d’imposition cantonal. «C’est non négociable, assure Guillaume Barazzone. Les cantons doivent rester libres de fixer leur taux. On ne peut pas remettre en jeu le fédéralisme dans le domaine fiscal.» Pourtant, le PS fourmille d’idées dans le domaine. «Même si cela suppose de modifier la Constitution, il y a des idées intéressantes, sourit Roger Nordmann. On pourrait imaginer relever le taux fédéral, ou fédéraliser intégralement l’imposition des entreprises pour redistribuer les recettes aux cantons. Je ne pense pas qu’il y ait de consensus, aujourd’hui là-dessus, mais nous sommes prêts à discuter.»

Les discussions s’annoncent donc passionnées dans les semaines à venir. Et si un point fait aujourd’hui consensus, c’est l’idée d’aller très vite. Pour Roger Nordmann comme pour Guillaume Barazzone, les délais peuvent être tenus: négociations durant le printemps, message du Conseil fédéral en juin, consultation jusqu’à l’automne et vote final à l’été 2018.