Les «quotas» féminins sauvés de justesse
Conseils d’administration
Le Conseil national approuve de justesse l’introduction de valeurs indicatives pour les femmes à la tête des entreprises cotées en bourse

Quel suspense! Pour une seule voix, Simonetta Sommaruga a sauvé le volet de la révision du droit de la société anonyme qui lui tenait le plus à cœur: celui de la promotion des femmes dans les plus hautes sphères de l’économie. Par 95 voix contre 94, le Conseil national a approuvé des valeurs indicatives pour toutes les entreprises cotées en bourse: celles-ci devront compter un taux de 30% de femmes dans leur conseil d’administration et 20% dans leur direction, cela dans un délai de cinq, respectivement dix ans. Et si elles n’y parviennent pas, elles devront s’expliquer, sans s’exposer toutefois à des sanctions.
«C’est l’heure de bouger et d’avancer», a déclaré Andrea Gmür-Schönenberger (PDC/LU), la star inattendue du débat. Celle-ci a stupéfié tout l’hémicycle en déclamant un poème de 40 vers à la tribune. Avec beaucoup d’humour, elle s’est demandé pourquoi tant d’hommes se fâchaient tout rouge lorsqu’il était question de quotas féminins – qui n’en sont d’ailleurs pas en l’occurrence. Elle les a donc incités à faire preuve de grandeur et à accepter «ce compromis du compromis». Très applaudie, elle a laissé Simonetta Sommaruga presque sans voix. «Qu’ajouter après ce plaidoyer si poétique?» a demandé la cheffe de Justice et Police.
Le PDC très compact
Ce poème surgi du PDC a donné le ton. Alors qu’en février dernier, quelques sénateurs à la cravate orange avaient renvoyé un projet d’égalité salariale en commission, le parti de la famille a cette fois donné de lui une image beaucoup plus soudée au Conseil national (22 oui et 3 non seulement). Andrea Gmür-Schönenberger a ouvert la voie. Cette mère de famille a toujours réussi à concilier sa profession d’enseignante de français et d’anglais à temps partiel et sa vie de famille, élevant quatre enfants désormais adultes. Aujourd’hui, elle dirige la Fondation Josi Meier, une pionnière en matière d’égalité dans les années 80 et 90. Oui, c’est cette même Josi Meier qui a été la première femme à présider le Conseil des Etats, elle aussi qui a eu un jour cette phrase historique: «La place des femmes est au Palais fédéral, pas seulement à la maison.»
Vingt ans plus tard, la place des femmes est aussi au sommet des entreprises, où elles sont trop souvent absentes. Les hommes trustent l’immense majorité des postes dans les 100 plus grandes entreprises de Suisse. Ils sont 81% dans les conseils d’administration et même 93% dans les directions. Cela trente-sept ans après l’inscription du principe de l’égalité dans la Constitution fédérale, soit dans un autre siècle, à l’époque où Ronald Reagan était encore président des Etats-Unis. «Faites donc confiance aux femmes», a imploré Simonetta Sommaruga.
Les opposants aux valeurs indicatives n’ont cessé de parler de «quotas». A l’UDC, ce sont les Zurichois Claudio Zanetti et Natalie Rickli qui ont tenté de couler le projet du Conseil fédéral. «Ces quotas sont une insulte aux femmes, car ils sous-entendent que les femmes sont incapables de se hisser d’elles-mêmes aux postes de direction», a déclaré Claudio Zanetti. Pour sa part, Natalie Rickli a tenu à corriger l’image donnée par les plus grandes entreprises. «N’oubliez pas les PME, où 80 000 femmes occupent déjà une position dirigeante. Les quotas, qui mettent les femmes nommées grâce à eux sous une grosse pression, sont contre-productifs.»
L’abstention décisive d’Alice Glauser
Natalie Rickli a été une des rares femmes à combattre ces valeurs indicatives à la tribune. Au nom du PLR, c’est Philippe Bauer qui est monté au front pour annoncer que la grande majorité de son groupe était opposée au projet. «L’introduction de quotas est une atteinte à la liberté contractuelle à laquelle nous sommes tous attachés. C’est un piège pour les entreprises», a-t-il relevé.
Dans son groupe pourtant, la personnalité la plus en vue a été Christa Markwalder, rapporteuse de la Commission des affaires juridiques. Celle-ci a tenu des propos très forts en fin de débat: «Il faut bien reconnaître qu’en matière d’égalité des genres, le marché dysfonctionne complètement», a-t-elle affirmé. Elle doit le savoir, elle qui travaille depuis dix ans dans la multinationale Zurich Assurances.
A peine le résultat du vote a-t-il été connu qu’un éclat de voix s’est produit dans les rangs de l’UDC. La Vaudoise Alice Glauser, qui a osé s’abstenir, s’est fait sérieusement remettre à l’ordre par les dirigeants de son parti.