La rage et l’humiliation
Affaire Kadhafi
C’est l’histoire d’un conflit qui tourne vite très mal et qui se termine en un cauchemar diplomatique pour la Suisse et deux de ses citoyens pris en otage en Libye
Que se passera-t-il si les deux otages suisses ne sont pas revenus dans une semaine? A cette réponse posée au retour de son voyage controversé à Tripoli, le vendredi 21 août, Hans-Rudolf Merz avait répondu: «Je suis prêt à faire un deuxième voyage pour m’assurer qu’ils rentrent. Et si je n’y arrive pas, s’ils restent bloqués en Libye, alors je perdrai la face.» Le délai d’une semaine est dépassé depuis plusieurs jours. Un autre délai était en passe d’être dépassé lundi soir. Vendredi, le Département des finances affirmait détenir une garantie écrite du premier ministre libyen que les deux Suisses pourraient quitter le pays «avant la fin du mois».
Il est exclu, après les péripéties de la semaine écoulée, que Hans-Rudolf Merz se déplace une nouvelle fois à Tripoli, d’autant plus que les Libyens paraissent bien déterminés à continuer à rouler les Suisses dans la farine. L’émission de la TV alémanique 10 vor10 faisait état lundi soir des déclarations au Times de Londres d’un membre du gouvernement libyen, Mohammed Sial, responsable des relations internationales. Lequel assurait le quotidien britannique que les deux Suisses devraient passer en jugement devant une cour libyenne, pour avoir enfreint la législation locale sur les visas. La procédure, formellement ouverte il y a plus d’une année au moment de l’arrestation des deux Suisses, pourrait se prolonger des jours, des semaines ou des mois. A moins que le clan Kadhafi considère qu’il a assez joué avec le gouvernement et l’opinion helvétiques et décide d’inclure les deux otages dans la grande amnistie du quarantième anniversaire de la révolution.
Alors que la Suisse a de son côté tenu scrupuleusement tous ses engagements et s’est en plus empressée de souscrire aux dernières exigences formulées par Tripoli en rappelant immédiatement l’appareil qui attendait vainement les otages sur place, la Libye n’a apparemment pas le même sens du respect de ses engagements contractuels. Si elle a manqué à la promesse de son premier ministre, elle a également d’ores et déjà failli aux engagements contenus dans l’accord signé par Hans-Rudolf Merz.Elle n’a toujours pas désigné son représentant au tribunal arbitral dans le délai prévu, qui expirait dimanche soir. Eu égard à la situation des otages, la Suisse ne pourra même pas stigmatiser trop vivement la duplicité d’un gouvernement libyen qui renie ses engagements.
Les Libyens, relève un observateur que le Temps a interrogé à Tripoli, jouissent pour le moment de l’embarras des Suisses. Ils ont apparemment même pris la main dans le domaine de la communication. Alors que le DFAE et les Finances, comme tétanisés, se murent dans le silence, eux s’expriment. Dans une interview diffusée lundi par la TSR, le vice-ministre libyen des Affaires étrangères, Khaled Kaim, expliquait lundi que les deux Suisses devaient revoir le procureur avant de pouvoir quitter le pays, mais qu’aucune démarche ne pouvait être faite à Tripoli en raison de deux jours fériés.
Plus les Libyens continuent à se moquer de la Suisse, plus les concessions signées à Tripoli par Hans-Rudolf Merz apparaissent exorbitantes. Mais le président de la Confédération n’est pas le seul à être en mauvaise posture. Toutes les investigations relatives à la façon dont cette affaire a été menée depuis le début s’étendront nécessairement à Micheline Calmy-Rey, à laquelle une large partie de la classe politique n’a pas l’intention de faire de cadeaux.