Professeur de management public et de ressources humaines à l'IDHEAP, Yves Emery décrypte les méfaits de la bureaucratie.
Le Temps: Comment expliquer l'envolée de la paperasserie dans l'administration fédérale?
Yves Emery: Il est facile aujourd'hui de produire des rapports. Des systèmes génèrent automatiquement des informations. Cela augmente considérablement ce que certains appellent les cimetières de données. On produit beaucoup d'informations mais pas forcément des informations susceptibles d'aider la Confédération à mieux fonctionner. Et puis il y a la culture de la protection voire de la trouille. Pour toute action il faut un rapport, une trace écrite, qui témoigne de ce qui a été fait et qui, ainsi, protège son auteur.
- Quelle est leur utilité?
- Il y a l'utilité historique, mais personne ne peut dire ce qui sera utile demain, alors que c'est une question essentielle. C'est tout le problème de la politique de la mémoire. Les rapports sont également utiles pour prendre des décisions. Et là, nombre d'informations sont produites mais n'intéressent souvent pas les destinataires. Parce qu'on n'a pas le temps de les lire, parce que c'est trop long, parce qu'on ne se focalise pas sur les bonnes questions. Un rapport qui doit aider à la décision devrait se concentrer sur une page, au maximum sur une dizaine de pages pour les détails.
- Pourquoi cette surproduction pose-t-elle problème?
- On donne aux services plus de latitude entrepreneuriale, mais en contrepartie les instances de contrôle veulent des informations, des rapports donc, sur ce qui s'est passé. Savoir si les objectifs ont été atteints par exemple. Et en Suisse, les gens font bien les choses, peut-être trop bien. On a perdu la mesure de la mesure. Au lieu d'aider le système à mieux fonctionner, la production de rapports le paralyse.
- Ne commande-t-on pas des rapports pour éviter de décider?
- Ce phénomène existe, mais il n'est pas prépondérant.
- Une réduction de 90% n'est-elle pas trop ambitieuse?
- La barre est haute. C'est peut-être même une provocation. Mais aucune entreprise privée ne se réforme aujourd'hui autant que l'administration fédérale. C'est décoiffant, ce qu'elle est en train de faire. Cette réduction de rapports est une micromesure. Elle sera affinée à l'épreuve de son intégration dans le grand tout qu'est la réforme de l'administration.