Les Alpes fondent. Dans les médias, celui qui fut négociateur en chef de la Suisse à la conférence sur le climat de Paris aimait à rappeler que «si le climat se réchauffe de 2 degrés sur la planète, la température augmente de 4 degrés dans le pays». C’est au col du Grand-Saint-Bernard que les données les plus fiables ont été récoltées sur plus d’un siècle. Depuis qu’on la mesure systématiquement, la température a augmenté de 1,92 degré en automne, et de 1,77 degré en hiver.

Le recul des glaciers et le réchauffement du permafrost augmentent la fréquence et l’importance des éboulements et des laves torrentielles. La faune et la flore sont en danger: les espèces alpines cèdent du terrain aux espèces méridionales. Mais le réchauffement climatique a aussi des conséquences économiques. Les stations de ski intensifient l’enneigement artificiel pour garantir l’enneigement des pistes et l’hydroélectricité devra s’accommoder d’une baisse de la production.


 1  Les Alpes fondent 
et s’écroulent

Le cratère de Ferpècle

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Photo: cratère de Ferpècle - Pierre Luyet

Le paysage lunaire du fond du val d’Hérens porte les blessures de la canicule estivale. Début septembre, un cratère d’une quinzaine de mètres de profondeur est apparu sur la langue du glacier de Ferpècle, qui recule de plus de dix mètres chaque année. Alors que l’été battait des records de chaleur, les eaux qui coulent sous le glacier ont grossi au point de former des torrents qui ont érodé la glace, provoquant d’abord des crevasses concentriques, puis un effondrement de la cavité. Le trou est profond d’une quinzaine de mètres. Pour le chef de la section des dangers naturels en Valais, Pascal Stoebener, qui n’avait jamais vu ça, «l’été a été catastrophique pour les glaciers».

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La lente agonie
 des glaciers alpins

En Suisse, on mesure le recul des glaciers depuis 1880. Le plus grand des Alpes, celui d’Aletsch, se recroqueville de presque 40 mètres chaque année depuis 10 ans. Il y a un siècle, il ne reculait que d’une dizaine de mètres par année. Pour le glaciologue Martin Funk, de l’Ecole polytechnique de Zurich, «les scénarios raisonnables estiment que 90% des volumes de glace alpins auront disparu à la fin du siècle». Selon lui, la conférence sur le climat de Paris n’y changera rien, parce que «les glaciers s’adaptent aujourd’hui aux changements climatiques des trois dernières décennies».


AVANT/APRÈS. Le glacier du Rhône en Valais photographié à la fin du XIXe siècle (grâce au procédé du photochrome permettant la colorisation des images) et aujourd'hui. Déplacez le curseur au milieu de l'image pour naviguer entre les deux photos.


La montagne tremble à Evolène

Au matin du 19 Octobre dernier, le bruit raisonne dans toute la vallée. 2000 m3 de pierre se détachent du rocher du Mel de la Niva et dévalent un kilomètre de pente. Pour le géologue cantonal Raphaël Mayoraz, les changements climatiques n’expliquent pas tout : «L’érosion naturelle a fragilisé la partie inférieure du rocher». Quelques jours plus tard, 80 000 m3 se détachent de la Grande Dent de Veisivi. Pour le géomorphologue de l’université de Lausanne Christophe Lambiel, «il s’agit probablement d’une réponse à la canicule du mois de juillet». Il aura fallu plus d’un mois pour que la chaleur se propage en profondeur et fragilise la paroi. Depuis 1980, la glace perpétuellement gelée qui cimente les rochers s’est réchauffée jusqu’à des profondeurs d’une trentaine de mètres. Au-dessus de 2500m, les éboulements sont de plus en plus fréquents et importants.


AVANT/APRÈS. Glacier du Rhône (Valais).


A Randa, la grande peur dans la montagne

Le Grabengufer surplombe le village de Randa. Il se déplace de plus en plus vite, et plus rapidement que les autres parce que la zone est particulièrement abrupte. Avec le réchauffement du permafrost, «la vitesse des glaciers a doublé entre 1980 et l’an 2000» selon le géomorphologue Reynald Delaloye. Dans la vallée de Zermatt, la limite de ce sol gelé toute l’année remonte progressivement, libérant des roches dans les torrents glaciaires. Alors les laves torrentielles sont de plus en plus fréquentes. En juin 2013, ces coulées de boue et de pierres étaient quotidiennes.

L’imprévisible explosion de Münster

En 2008, les laves torrentielles ont traversé Münster et sa principale route d’accès, causant des dégâts matériels. Pour le chef de la section des dangers naturels Pascal Stoebener, «le phénomène était presque impossible à prévoir». Un lac souterrain s’était formé sous le Minstigergletscher qui surplombe le village. La pression de cette poche d’eau a fait exploser la glace, libérant un torrent de boue et de roches.


 2  La faune et la flore alpines sont en danger

L’inexorable ascension 
du pissenlit

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Photo: Pissenlit Alpin (Taraxacum alpinum) à Grächen - Pascal Vittoz, biologiste à l'université de Lausanne.

Le pissenlit alpin est injustement sous-estimé. Grâce à ses petits parachutes, il s’est montré le plus rapide à s’installer parmi les pierres, à plus de 3200 m d’altitude. La progression de la petite fleur jaune n’est pas anodine. Elle préfigure la remontée d’une végétation de plus en plus diversifiée qui profite de la diminution des durées d’enneigement pour coloniser de nouveaux sommets. Ces dernières années, le biologiste de l’Université de Lausanne Pascal Vittoz a répertorié 87% de nouvelles espèces dans 37 lieux situés au-dessus de 2800 m. Si la limite de la forêt est remontée à 2300 m, les arbres de plaine, par contre, sont en danger. Les différents modèles prédisent un climat trop sec en été pour les arbres indigènes et trop froid en hiver pour les espèces méditerranéennes. Des pelouses steppiques pourraient alors remplacer certaines forêts.

Le lagopède alpin, 
l’ours blanc des Valaisans

Pour fuir la chaleur, la perdrix des neiges semble se réfugier toujours plus haut. Sa population se réduit dans les Préalpes. Sur les hauts de Fully, le lagopède alpin est encore observé sur les contreforts nord du Grand Chavalard, et de plus en plus souvent sur le sommet. Pour Raphaël Arlettaz, professeur de biologie à l’université de Berne, «il pourrait s’agir d’une réponse de l’espèce au réchauffement climatique». Dans la plaine du Valais central, le hibou petit duc est plus fréquent qu’il y a trente ans. Les températures plus douces favoriseraient la population des grandes sauterelles dont le rapace se nourrit principalement. Selon le biologiste, «les Alpes vont perdre plusieurs espèces boréo-alpines, strictement inféodées à la haute montagne, alors que quelques espèce méridionales profiteront de l’augmentation des températures».


AVANT/APRÈS. Vue sur le Breithorn (Valais).


 3  Les changements climatiques pèsent 
sur l’économie

L’enneigement artificiel 
coûte cher

La viabilité des stations de basse altitude est en danger. La garantie d’enneigement naturel, située aujourd’hui vers 1200 m, ne cesse de prendre de l’altitude et pourrait bientôt se situer à 1350 m, selon une étude réalisée par l’EPFL en 2012. A Verbier comme ailleurs, l’enneigement artificiel reste de très loin la mesure la plus répandue pour anticiper et prolonger la saison. Mais cette réponse au réchauffement climatique a un coût. Le directeur général du groupe Téléverbier, Eric Balet, estime que «le kilomètre de piste coûte aujourd’hui 600 000 francs». Malgré ces dépenses en eau et en énergie, le nombre de jours favorables à la fabrication de neige artificielle devrait diminuer avec l’augmentation des températures, particulièrement en début de saison. Le ski estival, lui, a disparu en 1997 du glacier de Tortin, qui a reculé d’un kilomètre ce dernier siècle.

La petite arvine contient 
de plus en plus d’alcool

A Fully, Benoît Dorsaz est inquiet pour sa petite arvine. Pour le vigneron-encaveur, «c’est la nature qui fait le terroir». Depuis une trentaine d’années, l’augmentation des températures hâte la maturation du raisin, qu’il faut vendanger de plus en plus tôt. Avec ses collègues, il a financé une étude pour adapter ses techniques de culture au réchauffement climatique. A l’avenir, il devra irriguer ses vignes plus souvent, et repenser son effeuillage pour protéger les grappes de l’ensoleillement direct. Plus petits et plus sucrés, les grains de raisin produisent des vins de plus en plus riches et alcoolisés. Ainsi, les cépages méridionaux s’adaptent de mieux en mieux au Valais, tandis que les autochtones souffrent.

Des plantes et de l’eau pour lutter contre le réchauffement urbain

Sion est la ville de Suisse qui se réchauffe le plus rapidement. Sa température a augmenté d’un degré ces vingt dernières années. En milieu urbain, les changements climatiques sont amplifiés par les matériaux minéraux des constructions qui constituent des îlots de chaleur. La ville participe depuis 2014 à un projet pilote de la confédération pour limiter ce phénomène. Sur la voie publique, l’urbaniste Lionel Tudisco construit des fontaines et pose des sols perméables et clairs. Il végétalise aussi les rues et les toits de Sion. Aujourd’hui, il veut «sensibiliser les propriétaires fonciers et les professionnels de la construction» à ces pratiques.

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Le barrage de Mattmark produira moins d’électricité

A l’avenir, les précipitations estivales seront moins abondantes. A Saas-Almagell, la surface des glaciers qui encerclent le barrage diminue si rapidement que les apports d’eau de fonte diminueront dès 2020, selon un rapport rédigé en 2011 par l’Institut de géographie de l’Université de Berne. Les débits annuels moyens devraient donc baisser de 12% jusqu’en 2085. La production d’électricité pourrait légèrement augmenter en hiver, mais connaîtra une baisse significative en été. Si le scénario climatique le plus pessimiste envisagé par l’étude se réalise, le chiffre d’affaires de l’infrastructure pourrait baisser de 9 à 13% dans les 70 prochaines années. L’ensemble des barrages de haute altitude devront compter avec une baisse de la production de 4 à 8% d’ici à 2085. 


AVANT/APRÈS. Vue sur le glacier d'Aletsch (Valais)

 


Crédits des photos pour les modules interactifs: Library of Congress, Keystone, Reuters, Wikipédia