L’autre cible de l’initiative sur le financement de l’avortement

Santé Les initiants ne veulent plus que les réductions embryonnaires soient remboursées

Cette intervention est rare en Suisse

L’initiative «Financer l’avortement est une affaire privée» va plus loin que son intitulé. La réduction embryonnaire est également concernée. Les initiants demandent que cette intervention ne soit plus couverte par l’assurance obligatoire, sous réserve de rares exceptions.

La réduction embryonnaire est pratiquée en cas de grossesse multiple, qu’elle soit naturelle ou stimulée. Elle est strictement encadrée médicalement. «Nous n’entrons pas en matière lorsqu’il s’agit de jumeaux, sauf en cas de malformation de l’embryon ou de troubles psychiatriques de la femme», explique le docteur Yvan Vial, médecin-chef du service d’obstétrique du CHUV, à Lausanne. Lui-même se souvient d’une seule intervention sur des jumeaux ces dernières années.

Par contre, en cas de quadruplés, la pesée d’intérêts est différente. L’âge moyen de leur naissance est d’environ 26 semaines. Le risque de prématurité est ainsi extrême et la santé de la mère et des bébés peut être mise en danger. Dans ces cas, même s’ils sont rares, la réduction embryonnaire est recommandée.

La décision est plus difficile à prendre lorsqu’il s’agit de triplés, dont l’âge moyen de la naissance s’élève à environ 32 semaines. La grossesse comporte certes toujours des risques mais ils sont moindres. «Il faut prendre le temps de bien évaluer la situation et de discuter avec la patiente», relève le docteur Yvan Vial. La tâche est rendue encore plus compliquée par le fait qu’attendre des triplés n’est que rarement le résultat d’une grossesse spontanée. Le phénomène est surtout fréquent lorsqu’il y a eu stimulation de l’ovulation. «Les parents se retrouvent alors dans une situation paradoxale. Ils ont cherché à avoir des enfants et doivent réfléchir à l’éventualité d’en perdre un», poursuit le spécialiste. En mettant dans la balance les dangers et conséquences d’une telle grossesse et l’envie de voir naître trois enfants, le docteur Yvan Vial constate que la moitié des couples optent pour la réduction embryonnaire.

Il n’existe pas de statistiques sur le nombre de réductions embryonnaires pratiquées en Suisse. Au CHUV, le docteur Vial parle de 10 à 15 interventions par an. A l’échelon helvétique, on peut ainsi estimer leur nombre à une centaine par an, étant donné que seuls les grands hôpitaux universitaires suisses ont en principe cette compétence. Yvan Vial explique que cette intervention requiert une certaine pratique, car il y a des risques. «Dans 7 à 10% des cas, la mère peut faire une fausse couche globale», précise-t-il.

La campagne pour la votation du 9 février a peu porté sur la réduction embryonnaire. Les initiants la citent pourtant expressément, estimant que, comme l’avortement, elle ne doit pas être prise en charge par l’assurance de base, «sous réserve de rares exceptions». Mais sans préciser ce qu’ils entendent par exceptions, ce qui rend la situation concernant les réductions embryonnaires très incertaine, alors que les prises en charge sont bien plus lourdes, tant médicalement que financièrement. Pour Valérie Kasteler-Budde, coprésidente du comité d’initiative, «dans tous les cas, on met fin à une vie, déclare-t-elle. Or, nous estimons qu’il ne faut pas intervenir dans une grossesse.» Sur son site, l’association Mamma.ch parle ainsi de «meurtre ciblé». Les initiants craignent également une dérive vers des réductions embryonnaires pratiquées pour des raisons de confort plus que de santé.

Quoi qu’il en soit, associer la ­réduction embryonnaire à cette initiative heurte encore plus ses opposants. «La problématique est complètement différente. La réduction embryonnaire n’est pas une question de choix mais de nécessité ­médicale», s’insurge Liliane Maury Pasquier, conseillère aux Etats (PS/GE), qui rappelle qu’une grossesse multiple résulte souvent d’un trai­tement contre l’infertilité. Raison pour laquelle les cas augmentent. Selon les statistiques de 2011, sur 2350 grossesses assistées, il y a eu 1399 accouchements d’enfants uniques, 301 accouchements de jumeaux et 13 de triplés. «Les mé­decins font tout pour éviter les grossesses multiples, notamment en implantant un ou deux embryons seulement, alors que la loi autorise à en utiliser jusqu’à trois», assure Liliane Maury Pasquier. En cours de révision, la loi suisse sur la procréation médicalement assistée est d’ailleurs une des plus restrictives d’Europe.

«Nous estimons qu’il ne faut pas intervenir dans une grossesse»