L'histoire retient que la religion est l'une des causes majeures du déchirement entre Jurassiens, catholiques au nord et protestants au sud. L'espace d'un scrutin, les voici réunis dans le rejet du partenariat enregistré pour les personnes de même sexe (pacs): 50,8% de non dans le canton du Jura, 54,6% de rejet dans le Jura bernois. Nonante et une des 132 communes des deux Juras ont refusé la loi.
Dans le canton, c'est surtout le fief catholique d'Ajoie qui fait pencher la balance: 31 des 36 communes du district de Porrentruy ont rejeté le partenariat pour couples homosexuels, alors qu'il est accepté par les Franches-Montagnes et le district de Delémont. Les villes ont voté en faveur de la loi: 60,3% à Delémont, 58,2% à Saignelégier et 50,9% à Porrentruy.
«La position des évêques a joué un rôle déterminant», analyse Nicole Béguin, du comité romand de soutien au pacs. «Même si la pratique religieuse est en perte de vitesse, la culture catholique reste très présente dans une Ajoie conservatrice», renchérit le conseiller national socialiste Jean-Claude Rennwald. «L'attachement aux valeurs chrétiennes fondamentales est très fort», confirme le président du PDC, l'Ajoulot Charles Juillard. «La famille traditionnelle reste une notion constitutive de la vie dans nos régions», ajoute le radical Serge Vifian.
Ce n'est pas la seule explication. «Malgré nos stands d'information, les gens n'ont souvent pas compris ce qu'est l'homosexualité, parce qu'ils ne la perçoivent pas dans la vie de tous les jours, explique Régis Froidevaux de Juragai. Les gens n'ont pas saisi que ce n'est pas un choix. Certains craignent que la loi sur le partenariat soit une attaque contre la famille traditionnelle. «Les Ajoulots ont dû manquer d'informations, à l'inverse des Delémontains, qui avaient réservé un bon accueil à la Pride en été 2003. Lorsque reviendra le tour du Jura d'organiser le rendez-vous homosexuel, nous irons à Porrentruy», lâche Régis Froidevaux. Complexés, vivant mal leur déclin et leur situation périphérique, les Ajoulots ont peut-être aussi rejeté une forme d'urbanité à laquelle ils ne goûtent pas.
Partis dubitatifs
Les partisans du partenariat enregistré n'ont guère pu compter sur l'appui des partis politiques jurassiens, gauche exceptée. Le PDC avait d'abord opté pour la liberté de vote, avant que son congrès ne recommande le oui d'extrême justesse.
Rejetés dans l'opposition dans le Jura, les libéraux-radicaux ont carrément recommandé de voter non. «Pour deux raisons, explique le député radical Serge Vifian: il y a dans nos rangs aussi des partisans du modèle familial patriarcal; d'autres, dont je suis, ont voté non parce qu'ils estiment qu'il y a des problèmes autrement plus importants à traiter, comme le chômage.»
Les sectes du Sud
Des causes similaires expliquent le rejet du Jura bernois. A la nuance notoire que la culture n'est pas catholique, mais évangélique. Là où les communautés mennonites ou baptistes sont fortes, le non atteint des sommets.
Même Moutier la rouge a voté contre le partenariat pour couples homosexuels, pour 6 voix. «J'en suis surpris, affirme le maire socialiste, Maxime Zuber. C'est certainement dû au fait qu'il n'y a pas vraiment eu de campagne, donc pas suffisamment d'explications. Les arguments des adversaires évangélistes, qui opposent le partenariat à la morale de l'Eglise, ont fait mouche. Si nos régions sont régulièrement citées pour leur ouverture d'esprit et votent plutôt à gauche, elles montrent aussi, dans les débats de société, leur attachement à une valeur fondamentale, la famille.»