1  Pourquoi vote-t-on à nouveau sur le renvoi des délinquants étrangers?

Une première initiative de l’UDC pour le renvoi des délinquants étrangers a été acceptée en novembre 2010 – étant précisé que les dispositions en vigueur à l’époque comme aujourd’hui permettaient déjà l’expulsion d’une large palette de délinquants étrangers. Le Parlement avait cinq ans pour traduire cette initiative dans le code pénal, afin de la rendre applicable par les tribunaux. Les chambres ont respecté ce délai en approuvant une modification législative le 20 mars 2015, mais ont beaucoup hésité jusque-là sur l’orientation à prendre. Ce texte n’entrera en vigueur que si les citoyens rejettent l’initiative sur laquelle ils voteront le 28 février.

Dès 2012, furieuse du temps que prenaient les travaux parlementaires et convaincue que les chambres allaient édulcorer la volonté populaire exprimée en 2010, l’UDC a lancé une initiative d’un type inédit dans l’histoire constitutionnelle suisse. Il s’agissait pour elle de soumettre directement au peuple, sous forme d’une nouvelle initiative populaire, des dispositions détaillées destinées à «mettre en œuvre» de la première initiative en se substituant au législateur.

 2  Qui doit être expulsé selon l’initiative?

Tous les auteurs de nationalité étrangère de l’une ou l’autre des infractions énumérées dans une liste devront être systématiquement privés de leur droit de séjour et expulsés. Ces infractions, très diverses, vont du meurtre au viol en passant par le cambriolage et l’abus aux assurances sociales, désormais puni d’une peine pouvant aller jusqu’à cinq ans de prison.

Des infractions figurant dans une seconde liste ne vaudront l’expulsion à leur auteur que si celui-ci a déjà été condamné une première fois dans les dix années qui précèdent et ceci même pour une peine légère. Parmi les délits de cette seconde liste, on trouve les lésions corporelles simples, les violences contre des fonctionnaires, et, sans qu’on puisse s’expliquer sur ce point la mansuétude de l’initiative, les abus sexuels sur des enfants ou la participation à une organisation criminelle, qui vise en particulier le soutien au djihad. Ainsi, l’Italien né en Suisse et au bénéfice d’un permis C condamné à une amende pour excès de vitesse il y a quelques années et qui se laisse aller un soir à donner un coup de poing à un importun devra être automatiquement expulsé, non l’Irakien condamné pour son appartenance à la mouvance de l’État islamique, mais dont le casier judiciaire serait vierge.

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À noter que le délinquant étranger condamné à une peine ferme devra la purger en Suisse avant d’être expulsé. Seuls ceux qui obtiennent le sursis seront immédiatement renvoyés. L’initiative ne fera donc pas baisser le taux très élevé de détenus étrangers dans les prisons (68,8% en 2014).

 3   Des exceptions sont-elles prévues?

Le juge devra prononcer systématiquement le renvoi, sans égard à la gravité du cas ni aux conséquences qui en découlent, par exemple lorsque l’étranger a des enfants en Suisse. En revanche, l’exécution du renvoi – c’est-à-dire l’expulsion elle-même, qui interviendra dans un deuxième temps – pourra être suspendue si elle devait mettre la vie de l’intéressé en danger ou l’exposer à un risque de torture ou de traitement inhumain dans le pays de renvoi.

 4   Ces exceptions sont-elles suffisantes pour respecter le droit international?

Non. Telle qu’elle est formulée, l’initiative de l’UDC respecte certes le principe dit du «non-refoulement», minimum incompressible dicté par le droit international coutumier. Elle est contraire en revanche à plusieurs traités d’importance majeure ratifiés par la Suisse et qui vont plus loin que ce minimum, en particulier la Convention européenne des droits de l’homme et l’accord avec l’UE sur la libre circulation des personnes.

Aux termes de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, le renvoi doit faire l’objet d’un examen de la proportionnalité d’une telle mesure au cas par cas et tenir compte en particulier des attaches familiales de l’intéressé dans le pays – ce que l’initiative veut précisément empêcher.

Quant à l’accord sur la libre circulation des personnes, il n’autorise le renvoi d’un ressortissant européen ayant commis des délits que si celui-ci représente une menace grave et actuelle pour l’ordre public – ce qui suppose que le risque de récidive soit établi. Des arrêts de la Cour de justice de l’UE ont ainsi sanctionné l’Allemagne et les Pays-Bas pour des réglementations ne respectant pas ces principes. La loi néerlandaise prévoyait l’expulsion automatique de certaines catégories de délinquants et la loi allemande, le renvoi de personnes condamnées ne représentant pas une menace grave pour l’ordre public.

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 5   Que se passera-t-il sur le plan du droit international si l’initiative est acceptée?

L’initiative prévoit explicitement que ses dispositions l’emporteront sur des traités internationaux qui y seraient contraires. Avec Bruxelles, l’initiative constituera donc une difficulté de plus à résoudre dans le dossier déjà extraordinairement compliqué de la libre circulation des personnes et de la mise en œuvre de l’initiative contre l’immigration de masse acceptée le 9 février 2014.

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Quant à la Cour européenne des droits de l’homme, la Suisse ne sera plus en mesure de respecter ses jugements qui la condamneraient pour des expulsions non conformes à la Convention. Elle risque donc de passer dans le camp des pays n’exécutant pas les arrêts de Strasbourg, à l’instar, notamment, de la Russie. Elle fera l’objet de pressions des autres pays européens. Le Conseil fédéral a toutefois exclu de dénoncer purement et simplement la Convention pour résoudre le problème. Le Tribunal fédéral, lui, se retrouvera dans une position extrêmement délicate, à la fois garant des libertés individuelles et du principe de la primauté du droit international inscrit dans la Constitution, mais lié par cette même Constitution par la volonté populaire exprimée dans les urnes.

 6   En quoi la loi approuvée par les chambres est-elle différente de l’initiative?

C’est, pour l’essentiel, sur l’automatisme du renvoi que diffèrent l’initiative et la version des chambres. Pour le Parlement en effet, la fermeté est nécessaire mais ne justifie pas de passer par-dessus bord les principes fondamentaux de l’État de droit et les traités internationaux d’importance majeure pour la Suisse qui les consacrent. Si donc le renvoi doit être la règle, des exceptions plus larges que le non-refoulement doivent rester possibles afin de permettre un examen de la proportionnalité de la mesure par le juge qui la prononce. Celui-ci tiendra notamment compte, dit la loi, de «la situation particulière de l’étranger qui est né ou qui a grandi en Suisse».

 7   Les «secundos» devront-ils aussi être expulsés si l’initiative est acceptée?

Oui. L’initiative s’appliquera à tout étranger, quel que soit son statut, qu’il soit né ou non en Suisse. Le texte de l’initiative ne contient aucune réserve en faveur des «secundos», et ferme au contraire toute possibilité d’interprétation par les tribunaux. Cela n’a pas empêché le conseiller national UDC Hans-Ueli Vogt, professeur de droit à l’Université de Zürich – mais il est un spécialiste du droit commercial, non du droit public – d’assurer que les étrangers de la deuxième génération ne seraient pas concernés. Il a été aussitôt démenti par son propre parti, Christoph Blocher en tête.

 8   L’initiative permettra-t-elle de renvoyer davantage de délinquants étrangers qu’aujourd’hui?

L’UDC l’assure. Selon les projections de l’Office fédéral de la statistique (OFS), l’application de l’initiative aurait débouché, en 2014, sur 10 210 prononcés de renvoi, dont 2277 ressortissants de l’UE. Ces chiffres ne peuvent toutefois être comparés avec la situation actuelle, les données d’ensemble faisant défaut.

Selon les calculs de l’OFS, l’immense majorité des renvois entraînés par l’initiative (8412) relèveraient de la deuxième liste d’infractions, les moins graves, celles qui ne justifient un renvoi que parce qu’elles ont été précédées d’une première condamnation dans les dix années antérieures.

Deux tiers de ces récidivistes (5168, plus de la moitié de l’ensemble des renvois prononcés) sont sans autorisation de séjour en Suisse (requérants déboutés devant quitter le pays, clandestins, etc.). Pour eux, l’initiative n’aura pas d’effet particulier, puisqu’ils doivent de toute façon quitter la Suisse. 1604 sont cependant ressortissants de l’UE et disposent à ce titre en principe d’un droit de séjour. L’application des dispositions votées par le Parlement, elle, aurait entraîné le prononcé de 3863 renvois, dont une moitié de ressortissants de l’UE (1639).

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Mais les projections de l’OFS ne disent rien du nombre d’étrangers qui seraient réellement expulsés. L’initiative aussi bien que le texte des chambres distingue en effet entre le prononcé du renvoi et son exécution. En dehors des cas où l’expulsion ne peut être effectuée en raison du principe de non-refoulement – notamment si le pays d’origine est en proie à de graves troubles politiques –, il est notoire que les renvois se heurtent à de nombreuses difficultés concrètes qui peuvent les rendre impossibles. Plusieurs pays d’origine (en particulier l’Algérie et plusieurs pays d’Afrique) se montrent ainsi très réticents à reprendre leurs ressortissants et dressent de nombreux obstacles administratifs.

 9   Quels seraient les coûts?

Selon les adversaires de l’initiative, son application entraînerait des coûts élevés pour la collectivité, en particulier pour les cantons. C’est à eux en effet qu’incombent de procéder aux expulsions, et il faut compter que les autorités devraient augmenter les moyens alloués à cette tâche. Ce sont eux aussi qui devraient financer l’aide sociale d’urgence versée à des étrangers en instance d’expulsion et qui n’ont évidemment plus le droit de travailler en Suisse. Par ailleurs, des nombreux délinquants étrangers condamnés aujourd’hui à des peines légères par voie d’ordonnance pénale délivrée directement par le Ministère public, sans avocat, devraient à l’avenir être pourvus d’un défenseur d’office, dès lors que la justice devrait aussi statuer sur leur renvoi. Ces avocats d’office pourraient coûter des dizaines de millions chaque année, selon une estimation citée par la NZZ am Sonntag du procureur général du canton de Berne, Rolf Grädel, lui-même UDC mais opposé à l’initiative.