Il y a des coïncidences tragiques. A la veille du débat au Conseil des Etats sur l’initiative UDC demandant le renvoi des étrangers criminels, un Nigérian de 29 ans est mort mercredi soir dans la prison de l’aéroport à Zurich lors de son expulsion. Ligoté de force, son état de santé s’est détérioré d’un coup, indique la police cantonale zurichoise jeudi dans un communiqué. «On lui a enlevé immédiatement ses liens aux mains et aux pieds, mais il ne répondait plus», a indiqué Marcel Strebel, porte-parole de la police. Les secours appelés sur place ne sont pas arrivés à réanimer l’homme. Le Nigérian, un demandeur d’asile débouté, était détenu en vue de son renvoi. Il s’opposait à cette mesure et avait commencé une grève de la faim depuis plusieurs jours. Il faisait partie d’un groupe de seize hommes qui allaient être rapatriés de force à Lagos au Nigeria dans un vol spécial affrété par la Confédération. Par égard pour ses compatriotes, le vol a été annulé et les quinze hommes ramenés dans leur canton de détention.

L’Office fédéral des migrations «déplore ce tragique incident». Il a aussitôt annoncé qu’il suspendait les vols spéciaux de renvoi.

Une enquête du Ministère public zurichois sur les circonstances exactes de la mort du Nigérian a été ouverte. La police cantonale zurichoise dit ignorer si le requérant avait des antécédents médicaux et s’il avait été examiné pour déterminer s’il était en état de voyager après avoir refusé de s’alimenter pendant plusieurs jours. Le Nigérian, comme neuf de ses compatriotes, dépendait administrativement du canton de Zurich et était détenu depuis plusieurs semaines à la prison de l’aéroport.

«Il était entré en 2005 en Suisse et a notamment purgé une peine pour trafic de drogue. Il aurait dû quitter la Suisse en janvier par un vol de ligne, mais il a refusé», précise Urs von Arb, chef de la Division retour à l’Office fédéral des migrations.

«Lorsque les personnes résistent à leur expulsion, il est d’usage en dernier recours de les ligoter aux pieds et aux mains par des sortes de bracelet. Elles peuvent en principe encore marcher, mais au ralenti», précise Marcel Strebel de la police cantonale zurichoise. Dans le jargon administratif, on parle de «renvois forcés de niveau 4». Il s’agit la plupart du temps de requérants déboutés, mais aussi de demandeurs d’asile qui en vertu de l’accord de Dublin sont ramenés dans le premier pays d’accueil européen. Pour ne pas troubler les vols de ligne, la Confédération organise des vols spéciaux. En 2009, 43 vols spéciaux ont permis de renvoyer de force 360 personnes, en 2008, il y a eu 36 vols spéciaux pour 208 personnes, indique Urs von Arb.

Amnesty International a exprimé sa consternation. L’ONG a exigé du canton de Zurich une enquête indépendante. «Nous ne savons pas s’il y a eu une bagarre et l’utilisation de la force. Les menottes, ce n’est pas cela qui tue», déclare Denise Graf, experte sur le travail de la police auprès de l’organisation de défense des droits humains. Elle s’insurge contre les mesures de contrainte, décidées en 1995 en votation populaire. «C’est la troisième personne qui meurt dans une procédure d’expulsion suite à l’application de ces mesures. En 1999, un Palestinien est décédé à l’aéroport de Zurich déjà. Bâillonné au ruban adhésif, il est mort par étouffement. En 2001, un Nigérian est mort en Valais, après avoir été plaqué au sol face contre terre.»

Suite à ces cas tragiques, le Conseil fédéral, sur mandat du parlement, a élaboré en 2006 une loi sur l’usage de la contrainte, de manière également à fixer des standards uniformes dans tous les cantons. «On ose ligoter les gens. Mais l’usage du bâillon, de calmants, ainsi que des très contestés Taser (appareils à électrochocs) sont interdits. Par ailleurs, seuls des policiers formés peuvent accompagner les personnes renvoyées», précise Urs von Arb. En attendant les premiers résultats de l’enquête zurichoise, les vols spéciaux sont suspendus. Amnesty International demande qu’à l’avenir, des observateurs indépendants surveillent ces renvois.