Le Prix Nobel de la paix d’Abiy Ahmed semble bien loin. Récompensé en 2019 pour avoir entrepris un rapprochement avec l’Erythrée, le premier ministre éthiopien se retrouve pris dans la spirale de la violence. Il vient d’appeler ses concitoyens à prendre les armes pour faire face aux forces rebelles de la région du Tigré. La guerre dure depuis une année, et les exactions se multiplient. L’ONU ne mâche pas ses mots. Haut-commissaire aux droits de l’homme, Michelle Bachelet parlait mercredi d’une «extrême brutalité», de viols collectifs et d’exécutions sommaires. Entre autres. Une enquête a été consignée dans un rapport. «Personne ne gagne dans cette guerre insensée qui engloutit une partie croissante du pays.»

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A Berne, l’escalade de la violence ne change cependant pas la pratique de l’asile, que ce soit vis-à-vis de l’Ethiopie ou de l’Erythrée voisine, aussi impliqué dans les affrontements. Contacté, le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) n’a pas revu sa politique de renvois: les rapatriements restent possibles pour les migrants déboutés. «En dépit du conflit qui se déroule actuellement dans ces régions, le SEM et le Tribunal administratif fédéral estiment que ni l’Ethiopie ni l’Erythrée ne connaissent une situation de violence généralisée qui, de manière générale, mettrait en danger tous les ressortissants du pays», transmet la porte-parole Anne Césard.

Différences régionales

Les Services de la conseillère fédérale Karin Keller-Sutter continuent de différencier la région du Tigré, théâtre principal de la guerre civile, du reste du pays d’Afrique de l’Est. «Dans le cas de personnes directement touchées par le conflit sévissant dans la région du Tigré et dont la demande d’asile est rejetée, un examen particulièrement attentif est effectué pour déterminer si leur renvoi en Ethiopie ou en Erythrée est licite, exigible et possible.» Le SEM conclut que, «compte tenu de ces éléments, il n’y a actuellement pas lieu de suspendre, de manière générale, les rapatriements vers l’Éthiopie ou l’Erythrée».

Le renvoi forcé vers l’Ethiopie demeure possible (l’Erythrée, pour sa part, n’accepte que les retours volontaires). Un groupe d’Ethiopiens, originaires d’autres provinces que le Tigré, a ainsi été expulsé de force par vol spécial au début de cette année. A la suite de quoi d’autres rapatriements se sont produits ces derniers mois par des vols de ligne. Le SEM précise néanmoins n’avoir ordonné aucun retour de requérants originaires du Tigré depuis novembre 2020, date du début du conflit.

Position critiquée

La stratégie du Secrétariat d’Etat aux migrations ne satisfait pas tout le monde. «J’ai l’impression que le SEM a tendance à recueillir toutes les informations l’amenant à agir trop tard», grimace la conseillère aux Etats Lisa Mazzone (Verts/GE). «L’évolution en Ethiopie est effrayante. Dans ce genre de situations, il faut réagir dans l’urgence, et ne pas renvoyer des migrants pour se rendre éventuellement compte a posteriori qu’ils couraient un danger réel. Ce n’est pas la première fois que le SEM manque de réactivité.» L’écologiste appelle à suspendre les renvois.

A Amnesty International, le coordinateur de campagnes pour l’asile, Pablo Cruchon, juge que «la situation doit être réévaluée pour s’assurer que les personnes renvoyées ne se trouvent pas en danger. Le pays n’est plus sûr. Il faut donc appliquer le principe de précaution, car la Suisse a un devoir de protection». Le militant questionne l’analyse du Secrétariat d’Etat aux migrations. «C’est une bonne chose qu’aucun renvoi n’a eu lieu vers le Tigré depuis l’an passé. Mais si le SEM n’expulse plus, cela signifie que le pays n’est plus sûr, et il devrait alors revoir sa pratique et accorder l’asile aux demandeurs venus d’Ethiopie.»

La péjoration constatée en Ethiopie ne laisse pas insensible certains élus de l’UDC conservatrice. Bien qu’il tienne à l’examen «au cas par cas», le Vaudois Michaël Buffat pourrait «vivre avec un moratoire sur les renvois jusqu’à la fin de l’année». A ses yeux, le fait qu’aucun rapatriement n’ait eu lieu vers la région du Tigré montre cependant que «le but est déjà atteint».