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La réponse de Winterthour aux extrémismes

Créé il y a deux ans en pleine crise, le service contre la radicalisation a été contacté à 76 reprises, entre octobre 2016 et mars 2018. Une fois, il a donné lieu à une intervention auprès d’un jeune attiré par le djihadisme

Urs Allemann, responsable du service contre l’extrémisme et la violence de Winterthour, devant une maquette de la ville. — © Marc Latzel pour Le Temps ©
Urs Allemann, responsable du service contre l’extrémisme et la violence de Winterthour, devant une maquette de la ville. — © Marc Latzel pour Le Temps ©

Tout au long de cette année des 20 ans, Le Temps a traité plusieurs causes. La septième et dernière concerne le laboratoire politique helvétique. Depuis quelques années, le pays peine à mener à bien de grandes réformes se multiplient, tandis que la classe politique est prise de vitesse par la société civile et les réseaux sociaux.

Toutefois, le système suisse garde des atouts. Génie du fédéralisme, les nouvelles idées peuvent être testées au niveau communal ou cantonal avant d’être étendues au reste du pays. Nous explorons ces pistes durant cinq semaines.

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Il y a deux ans, Winterthour était plongée dans la crise. Après le départ de deux jeunes pour la Syrie en 2014, puis les révélations des médias sur des prêches haineux dans la mosquée An’Nur, la peur de l’islamisme violent s’est installée dans les esprits. A chaque nouveau cas de radicalisation, les autorités étaient pointées du doigt pour leur incapacité à juguler la menace. Elles ont mis du temps à réagir. En 2015, la municipalité annonce la création du Service de prévention contre l’extrémisme et la violence (FSEG), qui entre en fonction en octobre 2016. Limité dans un premier temps à fin 2018, il a été prolongé en juillet, à la suite d'un premier bilan positif.

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Depuis, Winterthour semble passée de l’état de mauvais élève à celui de modèle. Lors d’une visite en février, la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga louait le travail de ce pôle local de prévention contre l’extrémisme. D’autres villes en Suisse s’en inspirent désormais pour mettre sur pied leurs propres mesures.

Tisser un réseau

A Winterthour, un homme se trouve au cœur du travail de prévention: Urs Allemann. Le travailleur social avertit d’emblée: «Evaluer l’efficacité d’un service comme le nôtre s’avère très difficile, car il s’agit de prévention.» Il ne doute pas cependant de la nécessité, face au risque de radicalisation, d’agir en amont, afin de détecter un individu problématique avant qu’il ne bascule dans la violence.

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L’approche, dans la ville zurichoise, consiste à tisser un réseau entre les administrations et les professionnels en contact avec des enfants et des adolescents au quotidien: police, enseignants, travailleurs sociaux, service d’intégration, associations sportives et religieuses, parents. Autre pièce du puzzle: le «bâtisseur de ponts», l’ancien policier de quartier Jan Kurt, à qui la ville a confié début 2017 la mission d’établir le contact avec les communautés étrangères de Winterthour. Son rôle est d'informer les nouveaux venus sur le travail de la police, les lois, mais aussi d'aborder des thématiques telles que l’égalité entre hommes et femmes ou le racisme.

L’une des clés du travail de prévention est d'être aisément atteignable, souligne Urs Allemann. Ainsi, le Service de prévention contre l’extrémisme et la violence (FSEG) répond au téléphone durant les heures de bureau, mais aussi via une application sur smartphone. Entre octobre 2016 et mars 2018, Urs Allemann a reçu 76 signalements, selon les dernières statistiques disponibles. Six tombaient dans le domaine de la propension à la violence, contre d’autres ou soi-même. Lorsqu’une telle situation se présente, le cas est transmis au bureau de prévention des menaces de la police.

Parmi ces six événements ayant nécessité d’appeler les forces de l’ordre, un seul concernait un jeune homme qui souhaitait partir combattre en Syrie. Ce converti de 19 ans avait commencé à changer de comportement et de style vestimentaire. Dans un journal, il avait écrit que «le djihad est un devoir». C’est son père, inquiet, qui a fini par appeler Urs Allemann. Dans un autre événement relevant de l’infraction, l’islamisme radical se trouvait à la marge d’un autre problème: une bagarre entre collègues. Enfin, à trois reprises, le discours religieux cachait un dérangement psychiatrique.

Différencier le légal de l'illégal

Dans 68 autres cas, il s’agissait de comportements provocateurs ou de prosélytisme religieux, qui se sont avérés sans danger. Urs Allemann donne l’exemple d’une jeune musulmane qui exprime une croyance très forte à l’école. Jusqu’ici, pas de problème. Mais elle se montre de plus en plus pressante avec d’autres écolières, qu’elle incite à porter le voile. «C’est une situation typique de mobbing et de harcèlement. Nous avons pris contact avec les parents. A la fin, nous avons constaté qu’elle n’avait aucune affinité avec un groupe radical, mais il a fallu clarifier les choses et expliquer que la coercition est interdite.» Résultat: le service contre l’extrémisme a organisé un workshop destiné aux enseignants pour les sensibiliser à cette thématique.

Le travailleur social tient à différencier les rôles: sa tâche est d'identifier des situations potentiellement problématiques, mais aussi d'établir la confiance au sein de la population et de partager des informations. Pas question toutefois de se substituer aux services de renseignement ou à la police.

Son travail consiste aussi à «tracer une ligne rouge» entre les comportements qui rompent avec les normes mais restent dans le domaine légal – refuser de serrer une main ou porter un niqab, par exemple – et ceux qui sont illégaux – appeler au meurtre ou à la violence. «La lutte pour la sécurité ne doit pas se faire au détriment de la liberté d’expression», tient à souligner le travailleur social. Enfin, le service contre l’extrémisme répond aussi aux inquiétudes de la population. Urs Allemann cite l’exemple d’un flyer publicitaire distribué dans l’espace public par un groupe créationniste musulman, signalé par un citoyen circonspect: «Nous effectuons des vérifications pour savoir qui est ce groupe et s’il est dangereux. En l’occurrence, nous avons estimé qu’il ne s’agissait pas d’un groupe radical.»

Reconnaître l’extrémisme

Dernière action en date du service de prévention: l’édition d’une brochure destinée aux professionnels ou aux associations, pour les guider face aux groupes ou individus aux tendances radicales. Ce document dresse une liste de 11 signes d’extrémisme: le fait de discriminer un autre groupe en raison par exemple de son origine ou de sa vision du monde. L’attirance pour les théories du complot. La tendance à voir le monde en noir et blanc. La promesse d’une solution aux problèmes de l’humanité. Ou encore le fait d’attribuer aux hommes et aux femmes des rôles traditionnels et de les traiter inégalement. «Nous ne nous occupons pas seulement de djihadisme, mais de toutes les formes d’extrémisme: de gauche, de droite, sectaire ou ésotérique», précise Urs Allemann.