Migration
Les autorités leur confisquent les biens dépassant la valeur de 1000 francs. Les Danois envisagent la même mesure et provoquent une controverse

«Si vous possédez des valeurs pour plus de 1000 francs à votre arrivée au centre d’enregistrement, vous devez abandonner ces valeurs financières contre un reçu». C’est le genre de message que reçoivent les requérants d’asile qui arrivent en Suisse. Dernière lubie du Secrétariat d’État aux migrations (SEM)? Pas du tout. Alors que le parlement danois débat de la question et provoque la polémique, on découvre que la Suisse recourt à cette pratique depuis plusieurs années déjà, comme l’a rappelé jeudi soir, l’émission 10vor10 de la télévision alémanique. La BBC, le Guardian et le Spiegel, notamment, s’en sont émus. Ceci alors que le Conseil de l’Europe vient de mettre Copenhague en garde, en parlant de risques «d’infraction» à la Convention européenne des droits de l’homme si le Parlement avalisait la mesure. Même réaction du côté du HCR.
En Suisse donc, tout ce qui dépasse 1000 francs est saisi à l’arrivée du requérant. Contacté, le SEM confirme que «la Confédération prélève une taxe spéciale si un requérant d’asile dispose de plus de 1000 francs».
Taxe spéciale? Elle va plus loin que la simple ponction à l’arrivée. La porte-parole Céline Kohlprath renvoie à la définition précise de son office: «Les requérants d’asile et les personnes admises à titre provisoire qui exercent une activité lucrative sont soumis à l’obligation de s’acquitter de la taxe spéciale. Par ailleurs, les valeurs patrimoniales des personnes soumises à la taxe spéciale peuvent être saisies. Le montant de la taxe et la durée de l’assujettissement sont limités.» Elle précise que dans la quasi-totalité des cas, les valeurs saisies sont constituées d’argent comptant.
But: faire participer les requérants «dans la mesure du possible» aux coûts qu’ils engendrent (aide sociale notamment). Si une personne s’en va de son plein gré dans un délai de sept mois, elle pourra récupérer l’argent ou le bien confisqué. Dans le cas contraire, la somme couvrira les frais engagés. Ceux qui sont en procédure d’asile ou bénéficient d’une admission provisoire devront ensuite verser 10% de leurs revenus. L’obligation de s’acquitter de cette taxe spéciale cesse si le montant de 15 000 francs est atteint, après dix ans d’activité lucrative pour le requérant, trois ans pour une personne qui a reçu une admission provisoire ou si le requérant obtient le statut de réfugié.
En 2014, l’équivalent de 291 000 francs a été prélevé de cette façon, un chiffre qui se monte à 210 000 pour 2015 (112 cas). Un tiers de ces montants ont directement été prélevés dans les centres d’enregistrement, à l’arrivée des requérants d’asile, selon la porte-parole du SEM.
Curieusement, cette disposition est jusqu’ici presque passée inaperçue en Suisse. Mais le débat danois a réveillé des consciences. L’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) se dit choquée par la pratique, qu’elle juge «indigne». Même réaction du côté du bureau suisse du HCR, pour qui ces taxes peuvent «freiner l’intégration des requérants». «Bien sûr qu’il faut les abolir!», s’exclame de son côté la conseillère nationale Cesla Amarelle (PS/VD), spécialiste des migrations. «Parce qu’elles sont dissuasives par rapport à l’entrée des requérants sur le marché du travail et qu’il est primordial de leur permettre cet accès au plus vite». Dans la pratique, des bijoux sont aussi confisqués, relève-t-elle.
Sentant la polémique monter, le SEM s’est fendu d’un communiqué vendredi en fin d’après-midi. Il y précise que la pratique est ancrée dans la loi sur l’asile depuis 20 ans. Et que les objets personnels, avec valeur émotionnelle, comme les alliances, ne sont pas concernés. Il insiste aussi sur le fait qu’en 2015, 45 000 individus environ étaient soumis à cette règle mais que seuls 112 sont passés à la caisse.
Pourquoi si peu? Epuisés par leur périple, les migrants arrivent avec peu d’argent cash sur eux: ils ont souvent été rackettés auparavant par des passeurs.