(Dernière mise à jour: 22.07.2016)

Ils sont 63. C’est le nombre de résidents suisses partis faire le djihad en Syrie et en Irak, selon le dernier décompte mensuel du Service de renseignement de la Confédération (SRC). Au total, 77 cas – 29 Suisses, dont 17 binationaux – ont été recensés depuis 2001. Quatorze sont partis vers la Somalie, l’Afghanistan et le Pakistan. Toujours selon le SRC, 21 djihadistes auraient trouvé la mort (14 confirmés à 100%). Au moins douze en Syrie ou en Irak. Le nombre de ceux qui seraient revenus en Suisse? Il se monte à 13.

Le SRC fait la distinction entre les cas confirmés, validés par plusieurs sources, et ceux sur lesquels pèsent encore des doutes. Certaines morts restent mystérieuses. La famille ou les proches d’un combattant suisse de l’Etat islamique pourraient par exemple faire circuler la rumeur de sa mort dans le seul but de le protéger. Et espérer qu’il puisse revenir en Suisse en toute discrétion sans être inquiété par la justice.

161 Français tués

Dans l’absolu, les chiffres français sont plus impressionnants: selon le Ministère de l’intérieur, plus de 2000 résidents français sont impliqués dans des filières djihadistes, dont 597 sont sur place, en Syrie et en Irak (+57% en 1 an), 254 de retour et 161 morts. Mais, proportionnellement parlant, la Suisse, qui n’est pourtant pas impliquée dans le conflit syrien, présente un taux qui reste inquiétant.

Surtout, les chiffres du SRC pourraient ne représenter que la pointe de l’iceberg. Le Ministère public de la Confédération (MPC) précise qu’environ 60 procédures pénales liées à la «thématique du terrorisme motivé par le djihadisme» sont actuellement pendantes. Il s’agit principalement de «soupçons de soutien à des organisations terroristes par le biais de la propagande». Mais d’autres Suisses échappant aux radars sécuritaires seraient sur place.

La Suisse a longtemps été accusée de sous-estimer le phénomène. Jusqu’à ce que la task force Tetra – pour «Terrorist Travellers» – soit mise sur pied, en automne 2014. Elle regroupe des collaborateurs du SRC, de fedpol, du Secrétariat d’Etat aux migrations, du MPC ainsi que les commandants des polices cantonales. Et permet une meilleure coordination.

Mosquées sous surveillance

Qui sont ces «djihadistes suisses»? «Le Temps» s’est concentré sur les cas les plus récents, ceux partis vers la Syrie ou l’Irak. Il n’existe pas de profil type. La radicalisation se fait souvent via Internet, mais certaines mosquées, fréquentées par des jeunes qui combattent aujourd’hui dans les rangs de Jabhat al-Nosra ou de l’Etat islamique, semblent avoir joué un rôle. Les regards se tournent notamment vers la mosquée An’Nur de Winterthour, ville qui recense à elle seule au moins 9 départs. Celle d’Embrach (ZH) est également sous surveillance.


Interactif. Notre infographie sur les djihadistes qui sont partis de Suisse


En Suisse romande, c’est la mosquée Arrahman, à Bienne, où Nicolas Blancho, le président du Conseil central islamique suisse (CCIS), a fait des prêches, qui est au cœur des interrogations depuis plusieurs années. Majd N. et Abou Saad le Tunisien la fréquentaient. Des soupçons d’incitation au djihadisme pèsent par ailleurs sur le CCIS. Deux de ses membres sont sous le coup d’une procédure pénale du MPC pour «soupçons de violation de l’article 2 de la loi fédérale interdisant les groupes Al-Qaida et Etat islamique et les organisations apparentées». Il s’agit de Naïm Cherni et d’Abdullah C. Le premier, un Allemand membre du comité directeur, est accusé d’avoir «représenté de façon propagandiste dans une vidéo son voyage dans des zones de conflit en Syrie, sans se distancier explicitement des activités d’Al-Qaida dans le pays».

On lui reproche d’avoir interviewé un leader lié à Jabhat al-Nosra. Le deuxième, ex-responsable des stands d’information du CCIS, s’était distingué, sur Facebook, par des propos se félicitant des attentats de Paris. Qaasim Illi, le bras droit de Nicolas Blancho, s’est, lui, récemment positionné en faveur de la libération d’un prédicateur islamiste allemand emprisonné, Sven Lau, alias Abou Adam, accusé de soutenir l’Etat islamique.

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A Genève, d’où plusieurs jeunes sont partis depuis 2014, c’est la mosquée du Petit-Saconnex qui a fait parler d’elle. Deux de ses trois imams sont fichés S («sûreté de l’Etat») en France, comme révélé par la «Tribune de Genève». Les autorités redoublent de vigilance en raison d’une scène djihadiste active en Haute-Savoie. Mourad Farès, alias Abou Hassan, aujourd’hui emprisonné en France, était un des principaux recruteurs de la scène djihadiste francophone. Il venait de Thonon et était proche de Damien G., parti d’Orbe. Fin décembre 2015, le canton a été contraint de rehausser son niveau d’alerte en raison de la présence d’individus soupçonnés de liens avec l’Etat islamique recherchés dans la région.

Des mineurs aussi

Plusieurs djihadistes français sont par ailleurs passés par l’aéroport de Cointrin. Le 14 mai 2015, un Français de 18 ans, accompagné d’un mineur, a été arrêté à l’aéroport. Sous mandat d’arrêt international, il avait été intercepté en Turquie, puis expulsé vers Genève, d’où il avait pris l’avion avant d’être extradé en France.

Certains des jeunes partis de Genève sont liés au courant Lies! (Lis!, en français), un groupe actif dans la distribution gratuite de corans. Derrière ce courant, très présent en Suisse alémanique, se trouve le prédicateur Ibrahim Abou-Nagie, un chef d’entreprise de Cologne d’origine palestinienne, proche des milieux salafistes. C’est lui qui a fondé, en 2012, «Die Wahre Religion», avec l’intention de distribuer 25 millions de corans dans plusieurs pays, dont la Suisse.

Plusieurs actions de distribution ont eu lieu à Genève, à Lausanne, à Winterthour et à Zurich depuis 2012. En 2014, un Tunisien de 35 ans, qui avait un domicile dans le canton de Fribourg, mais qui distribuait des corans sur des stands à Genève, a été expulsé de Suisse, jugé dangereux pour la sécurité intérieure par le SRC. Il affichait clairement sa sympathie pour l’Etat islamique sur Internet.

La Suisse est aussi, depuis peu, confrontée à la problématique des mineurs attirés par le djihad. Fin décembre 2015, deux jeunes de Winterthour, un frère et une sœur partis un an auparavant en Syrie à l’âge de 15 et 16 ans, sont revenus de Syrie. En passant par la case prison. lls étaient en lien avec Ahmed, 26 ans, jugé le 15 juillet au Tribunal pénal de Bellinzone, pour avoir voulu partir en Syrie, rejoindre l’Etat islamique. ll a écopé d’une peine de dix mois de prison avec sursis.