Des résidus de carrières encombrent le Tessin
Tessin
Envahissants, minant l’environnement, chers à transporter, les résidus de pierre issus de l’extraction des montagnes sont devenus un casse-tête pour les autorités

Sous un ciel bleu pétant, Marzio Maurino fait visiter une de ses neuf carrières. Celle de Biasca, au nord du Tessin, a été acquise par son grand-père en 1927. C’est du flanc de ces collines que sortent les fontaines, le mobilier urbain, le dallage des piazze et autres produits de la pierre qui contribue tant au charme du canton du sud des Alpes.
Pour expliquer la carrière, le propriétaire de Graniti Maurino utilise la métaphore: «Comme pour le porc, il y a les parties plus prisées et celles qui le sont moins, relève-t-il. Il y a les beaux blocs de pierre saine, correspondant au filet, puis les sous-produits moins valorisés, comme le cœur ou le foie. Et les inutilisables, les os.» Comment se débarrasser des os? Au Tessin, la question est grande comme une montagne.
50 à 70 % de résidus dans l'extraction
Le problème avec l’extraction de la pierre est la quantité de résidus produits et la difficulté d’écouler ceux-ci sur le marché. «Pour créer une façade de bâtiment en granite, on n’utilise que 5% de la roche extraite», fait valoir l’entrepreneur. Selon la pierre, entre 50 et 70% de la matière dégagée sera résiduelle, sous forme de gros blocs ou de pierres plus petites. A Biasca, Marzio Maurino est proche du reste de la Suisse, où il réussit à vendre bonne partie de ses «bas morceaux», recyclés pour en faire du ciment ou du gravier.
Mais pour d’autres de ses carrières, dans les vallées de Maggia et de Peccia, plus au sud, les frais de transport vers d’éventuels clients sont prohibitifs. «Pour vous donner une idée des coûts en Suisse, envoyer 25 tonnes à Bâle nous revient à 1300 francs, alors que pour 1000 dollars nous pouvons les acheminer en Chine, signale l’exploitant, déplorant de devoir payer la moitié de ses coûts de transport en taxes à Berne. Dans ces conditions, impossible d’être concurrentiel face aux matériaux italiens et aux résidus de construction recyclés suisses, moins chers.»
Des tas de pierres hauts comme des maisons
A Cevio, chef-lieu du district du Valle Maggia, le maire est aussi préoccupé. «Chaque année, nos carrières produisent entre 60 000 et 80 000 m3 de résidus de pierres, souligne Pierluigi Martini. Les entrepreneurs ne parviennent pas à les revendre et d’année en année, ils s’accumulent.» D’impressionnants tas de pierres gisent ici et là, parfois plus hauts que des maisons. «En raison du stockage sauvage, l’espace disponible pour l’usinage du granite se réduit toujours davantage.»
Ces dernières années, en collaboration avec le Canton et des communes voisines, les autorités de Cevio ont élaboré un plan de zones où, dorénavant, l’extraction sera autorisée, la roche travaillée et les résidus pourront être déposés et transformés en pierres plus petites et en gravier. Avec cette cartographie – une première dans le canton – certains exploitants de carrière ne survivront peut-être pas à moyen terme, note le maire.
Principal employeur de la vallée
«L’enjeu est de taille car les carrières représentent le principal employeur de la vallée, fournissant du travail à une centaine de personnes» souligne Pierluigi Martini. La recherche de solutions est donc impérative. Pour valoriser les résidus de roche, la commune milite pour que lors d’appels d’offres, les entreprises soient tenues d’utiliser 10% de pierre indigène sur leur chantier.
Une suggestion que le Canton étudie sérieusement et qui pourrait devenir réalité d’ici quelques mois, affirme Giovanni Bernasconi, chef de la Protection de l’air, de l’eau et des sols au Département du Territoire. Il y a quelques mois, le canton a publié un premier plan directeur – «avant c’était le Far West» – fixant un cadre de référence légal pour tous les acteurs concernés par l’exploitation des carrières au Tessin.
Il ne s’agit pas seulement pour le Canton de fixer avec ce document des objectifs et des limites, mais aussi de définir les droits des exploitants. «Le travail de la pierre fait partie non seulement du tissu économique tessinois, en particulier des périphéries, mais aussi de notre héritage culturel et de nos traditions», souligne le fonctionnaire.
L’encombrement par les résidus de carrière peut aussi poser des problèmes pour l’environnement, même si la situation semble sous contrôle s’agissant des entraves aux cours d’eau. «Le problème principal concerne plutôt la sécurité, avec le risque d’éboulement», estime Luca Vetterli, responsable de Pro Natura Tessin.