La résistance s'organise contre le projet de Faculté genevoise des sciences de l'environnement
GENEVE
Voici deux semaines, les professeurs de la Faculté des sciences économiques et sociales ont voté contre la création de cette huitième faculté. Face à la contestation grandissante, le recteur de l'Université de Genève André Hurst relativise.
La Faculté des sciences de l'environnement et du développement durable de l'Université de Genève est-elle mort-née? Tout le laisse croire. Annoncée en grandes pompes en octobre dernier, la perspective de sa création, prévue pour 2006, est fortement contestée. Voici deux semaines, elle a donné lieu à une levée de boucliers. Réunis par en débattre, les professeurs de la Faculté des sciences économiques et sociales (SES) ont manifesté de sérieuses réserves sur la nécessité de créer une Faculté du développement durable. Le vote a été sans appel: 24 se sont opposés au projet, 6 l'ont approuvé et 6 se sont abstenus. Ces prochains jours, c'est au tour de la Faculté des sciences de s'exprimer sur le sujet. Et le vote devrait être lui aussi négatif, relève son doyen, Pierre Spierer. Le 16 mars, le conseil de l'université se prononcera également sur la question.
Soutenu par le Conseil d'Etat genevois, le projet d'une nouvelle faculté, la huitième, vise à fédérer des disciplines existantes et à regrouper les Centres universitaires d'étude des problèmes de l'énergie, d'écologie humaine et des sciences de l'environnement ainsi que l'Institut universitaire d'architecture. Il a aussi pour but de développer l'interdisciplinarité entre les autres facultés. Pour l'heure cependant, le contenu que l'on entend donner à cette faculté demeure flou. Au point que certains la qualifient déjà de faculté marketing.
Lancé par le rectorat de l'université, le projet fait l'objet de critiques tous azimuts. Pierre Spierer émet celles de la Faculté des sciences: «Créer une nouvelle faculté où l'on forme des gens de façon superficielle dans plusieurs disciplines, ce n'est pas ce que je comprends par interdisciplinarité. Pour moi, celle-ci implique la rencontre de spécialistes de hauts niveaux et de disciplines différentes.» Le doyen met aussi en garde contre le risque de couper le lien entre les sciences naturelles et la recherche fondamentale. Un lien indispensable, à ses yeux, pour que des innovations soient possibles.
La question des ressources financières motive également le rejet du projet. L'Etat de Genève étant en graves difficultés budgétaires, Pierre Spierer estime qu'il n'est pas opportun de se disperser en créant une nouvelle structure estimée à 10 à 12 millions. Car Genève a développé avec la Confédération un pôle d'excellence en physique et biologie et est en train d'en faire de même au niveau des relations internationales.
Un professeur de la Faculté SES, qui souhaite garder l'anonymat, tient des propos encore plus tranchés: «La création d'une faculté de ce type est démesurée. Un projet de cette nature ne doit pas être vertical, mais transversal. Il faut dès lors aller vers quelque chose de nouveau: un institut transdisciplinaire avec une identité propre, menant sa propre recherche. Mais pas de nouvelle faculté, s'il vous plaît.» Se pose aussi la question d'une formation de base (bachelor) dans le domaine de l'environnement. Plusieurs professeurs s'interrogent sur la valeur d'un tel diplôme sur le marché du travail. Ils doutent aussi qu'il permette de poursuivre des études de master en sciences par exemple.
Face à cette rébellion professorale, le recteur de l'Université de Genève reste serein: «Cette effervescence n'a rien d'étonnant. Quand la Faculté SES a été sortie de la Faculté des lettres en 1917, les réactions ont été similaires. Le projet est en aucun cas mort-né.» Et André Hurst de poursuivre: «C'est un fantasme de croire qu'il ne faut pas toucher à la formation qu'on dispense aujourd'hui et que ce qu'on crée est forcément superficiel. Cela dit, je comprends les craintes de la Faculté SES dont certains programmes pourraient devenir partie intégrante de la huitième faculté. Ce sont des rigidités qu'il faut surmonter.»
Il reste que beaucoup se demandent si l'université se donne les moyens de ses ambitions. Pour un tel chantier, il faudrait une équipe qui planche à plein temps. Tel n'est pas le cas. Seuls quelques collaborateurs s'y attellent. Mais André Hurst se défend de tout dilettantisme: «Nous n'improvisons pas. La réflexion a déjà commencé il y a une quinzaine d'années.»
Partant sur des bases bancales, le projet suscite de profondes craintes. Car tout le monde a encore à l'esprit le fiasco de l'Académie de l'environnement au début des années 1990. La résistance des professeurs soulève en tout cas des questions de fond. Pourquoi Genève ne développe-t-il pas le volet énergétique du développement durable, dont les enjeux futurs sont considérables? Pourquoi la collaboration avec l'EPFL et l'Université de Lausanne n'est-elle pas plus intense pour mieux répartir les compétences respectives? Et enfin pourquoi la Genève internationale n'est-elle pas plus intégrée dans le processus?