Gastronomie
Le Conseil fédéral a décidé que les enseignes gastronomiques pourraient prochainement à nouveau accueillir des clients. Les mesures à respecter seront cependant si contraignantes que beaucoup d’établissements pourraient décider de garder la clé sous la porte

Les restaurateurs peuvent recommencer à affûter couteaux et fourchettes: dès le 11 mai, ils rouvrent. Ou du moins une partie d’entre eux. Car les établissements de demain ne ressembleront que peu à ceux d’hier. Ainsi que l’a annoncé ce mercredi le Conseil fédéral lors de sa conférence de presse hebdomadaire, les mesures sanitaires d’hygiène et de distanciation sociale demeurent en vigueur, et le domaine de la gastronomie n’y coupera pas. Un défi d’agencement qui s’annonce particulièrement complexe pour les petits troquets du pays.
Quatre à table, à deux mètres de distance
Mi-avril, Gastrosuisse, la plus grande association d’hôtellerie-restauration du pays, mettait la Confédération en garde: «Si notre branche doit attendre jusqu’en juin, entre 30 et 40% des établissements ne rouvriront pas.» Le gouvernement semble avoir pris la menace au sérieux. «Nous avons rencontré les représentants de la filière gastronomique suisse et avons décidé d’assouplir les mesures en vigueur plus rapidement que prévu», a indiqué ce mercredi Alain Berset. Les conditions sont cependant nombreuses.
Il ne faudra tout d’abord pas compter sur un banquet du déconfinement début mai: quatre personnes seront autorisées par table, pas plus. Une exception sera toutefois possible pour des familles avec enfants. Ensuite, les bistrots bondés de chalands jouant des coudes au bar resteront également un souvenir: tous les clients devront être assis. A bonne distance, puisque chaque table devra se trouver à deux mètres de celle de ses voisins ou isolée à l’aide d’un «élément de séparation». Des contraintes qui semblent impossibles à mettre en place pour un grand nombre des 20 000 cafés, bistrots et autres lieux de bouche du pays.
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Les petits bistrots pourraient devoir attendre
Président de Gastrosuisse, Casimir Platzer salue globalement les décisions prises ce mercredi: «Nous craignions que le Conseil fédéral n’autorise que deux personnes par table. Pour finir ils ont statué sur quatre, ce qui est positif. Il est cependant clair que la distance à respecter entre les tables sera un défi, d’autant que cela va aussi beaucoup diminuer la capacité des restaurants. Mais nous avions demandé une perspective pour planifier le futur: nous l’avons.» Quid des petits bars étriqués? «Ils devront vraisemblablement attendre une prochaine étape d’assouplissement», estime le Bernois. Pour lui, la priorité immédiate est que le gouvernement continue de soutenir sa branche.
«Les mesures d’aide doivent perdurer. Un restaurant qui ne peut rouvrir qu’à moitié ne fait que la moitié du chiffre d’affaires et une capacité réduite induit un personnel moins nombreux. Les possibilités de chômage partiel doivent absolument être maintenues. Il faut aussi que des solutions soient rapidement trouvées pour répondre à la question des loyers.» Alors que le 11 mai approche à grands pas, le président de la faîtière gastronomique espère obtenir sous peu des précisions sur les mesures à mettre en place pour protéger les employés. Un projet déposé début avril prévoyait d’imposer le port du masque en cuisine et au service; toutefois, le Conseil fédéral n’a pas encore pris position sur ces propositions et le flou demeure.
Le Röstigraben gastronomique
A noter que la décision de ce mercredi a eu un écho différent d’un côté et de l’autre de la Sarine. Président de Gastrovalais, André Roduit concède qu’il aurait préféré une réouverture totale un peu plus lointaine plutôt qu’une réouverture partielle et rapide. «Cela résulte des négociations avec les représentants alémaniques de la branche qui ont poussé pour aller le plus vite possible», révèle le Valaisan. Un constat partagé par son homologue vaudois, Gilles Meystre: «Il y a un grand soulagement outre-Sarine où, vu la situation sanitaire, les restaurateurs poussaient légitimement à l’ouverture. Mais en Suisse romande et au Tessin, nous demeurons pleins d’incertitudes.»
En Valais, les premiers résultats d’un sondage conduit auprès des membres de la faîtière gastronomique cantonale sont en effet cinglants: 80% d’entre eux doutent de la viabilité d’une réouverture sous ces conditions. Une impression qui prend tout son sens sachant que selon le même sondage, la plupart des établissements du canton ne pourront rouvrir qu’à 30% de leur capacité originelle. Malgré des assouplissements annoncés plus tôt que prévu, les perspectives restent donc plutôt sombres, dit Muriel Hauser, présidente de Gastrofribourg et tenancière du Café du Gothard, adresse emblématique du canton: «Il faut être conscient que ce n’est pas parce qu’on peut ouvrir que tous vont pouvoir le faire. Chaque établissement doit voir comment il peut mettre en place les mesures de sécurité et s’il peut s’en sortir financièrement. Le but n’est pas que les restaurateurs s’endettent en travaillant.»
L’espoir est à l’extérieur
Sans compter qu’une autre inconnue demeure, et pas des moindres: la clientèle répondra-t-elle présent? Dans un monde où les distances obligatoires entre inconnus sont la règle, difficile de s’imaginer boire des verres en toute décontraction. «Les restaurants sont un lieu de convivialité et de partage, rappelle Muriel Hauser. Les gens auront-ils envie de se retrouver dans une ambiance plus stricte, plus stérile? Ce qui est certain, c’est que s’ils viennent, ils risquent de moins consommer.» Alors que les beaux jours sont en vue, une raison de rester optimiste demeure cependant: les terrasses. «Les mêmes règles sont en vigueur dehors, dit Casimir Platzer. Deux mètres entre chaque table. C’est un espoir pour les petits bistrots.»