Le directeur de l'établissement se réjouit à la perspective de voir l'ensemble des palaces genevois être rénovés. Les Bergues, l'Hôtel du Rhône, le Hilton ou encore le Richemond ont tour à tour été rachetés au prix fort par des investisseurs étrangers très ambitieux. «Pour nous démarquer des autres, nous allons surprendre», glisse Denis Pourcher.
Le nouveau directeur se désole de l'aspect vétuste de l'Hôtel de la Paix. Construit en 1865, l'établissement appartient, depuis 1977, à la famille Manz. «Mais, jusqu'à présent, les propriétaires ne se sont pas mobilisés pour le rafraîchir. Les travaux de rénovation ont sans cesse été repoussés.» A tel point qu'en hiver 2004 l'organisation hotelleriesuisse a tout bonnement déclassé le cinq-étoiles, qui n'apparaît plus dans l'édition 2005 du Guide suisse des hôtels. La sanction ne sera pas levée avant la fin des travaux, et l'approbation des inspecteurs de la faîtière des hôteliers.
Terrible déconfiture. A laquelle s'est ajoutée une menace: la concurrence féroce exercée par les autres palaces de la rade de Genève. Alors, il n'y avait plus de temps à perdre. La famille Manz a confié l'exploitation de la Paix à la société Concorde, qui s'occupe des prestigieux hôtels de Crillon et Lutetia, à Paris. Denis Pourcher a pris ses quartiers dans l'établissement le 17 janvier et, déjà, il voit les lieux redécorés. Dans l'obscurité et la poussière, le visiteur fait appel à son imagination.
«Ces coursives et ces moulures empreintes d'histoire seront rehaussées d'une touche design. Dans l'atrium, les hôtes se prélasseront dans des fauteuils ronds en cuir, aux couleurs criardes, posés sur un grand tapis orange. Entre les colonnes romaines, deux tables d'un beige épuré feront office de réception. Sans toucher au mobilier d'époque, nous allons jouer sur les rideaux, les luminaires dernier cri et les tons contrastés. La seule pièce qui demeurera intacte, c'est le salon Mont-Blanc, chargé d'histoire: voyez la mosaïque du parquet, elle n'a pas bougé.»
L'Hôtel de la Paix entend attirer une «clientèle d'affaires, désireuse de travailler dans un environnement luxueux et calme, tout en étant proche du centre-ville». Il s'agit donc de se différencier des autres palaces, susceptibles d'attirer la même clientèle. En premier lieu, l'Hôtel des Bergues, son principal «voisin de Jet d'eau», qui subit en ce moment un lifting budgété à 35 millions. Racheté par le prince saoudien Al-Walid au printemps 2004, le plus ancien palace de Genève est rénové pour s'élever aux standards de la chaîne Four Seasons, énumérés dans «une bible de 2000 pages», selon le directeur financier des Bergues, Hervé Laborde. Des lits brevetés «Four Seasons», des peignoirs d'une épaisseur maximale, un service irréprochable… Tout cela dans un style «vieille demeure française», pour qu'on se sente «comme à la maison».
Car les exigences de la clientèle des hôtels de luxe évoluent. «Aujourd'hui, les gens voyagent beaucoup et comparent les établissements. Il faut donc leur offrir le petit plus, le détail qu'ils ne trouveront pas ailleurs.» Il faut croire que cette demande effraie les investisseurs suisses, qui se sont retirés du marché. Le dernier palace du bout du lac en mains genevoises, le Richemond, a été acquis pour 98 millions par sir Rocco Forte. L'hôtel sera rénové et agrandi pour 50 millions. Son petit plus: il offrira un spa, le premier dans un hôtel du centre-ville.
Denis Pourcher ne se laisse pas impressionner pour autant. Virevoltant dans la suite Grace Kelly de l'Hôtel de la Paix, le directeur assure: «Je me réjouis que Genève s'active, que le parc hôtelier se dynamise. Les investisseurs étrangers viennent ici avec une énorme envie. Ils foncent, ils prennent des risques, ils ont cet esprit de conquête qui manque en Suisse.»