«Situation à peine gérable»
Ces dernières semaines, les syndicats n’ont cessé de dénoncer les infractions observées sur des chantiers, dans des garages, des menuiseries, mais aussi des centrales téléphoniques, des laboratoires de pharmacie ou encore des cabinets médicaux. «La situation est à peine gérable aujourd’hui, qu’en sera-t-il le 27 avril?» s’inquiète Alessandro Pelizzari, également secrétaire régional d'Unia Genève.
Même son de cloche chez Yves Defferrard, secrétaire régional d’Unia Vaud. «Nous venons à peine d’obtenir l’instauration de contrôles inopinés après des semaines de bras de fer, souligne-t-il. Il faut admettre que certains cantons sont plus touchés que d’autres par l’épidémie. Cette réouverture unilatérale nous inquiète.» «Notre rôle est de garantir la santé des employés, renchérit David Taillard, d’Unia Neuchâtel. Ce n’est pas le cas aujourd’hui.»
Risques sanitaires et économiques
A trop prolonger le confinement, ne risque-t-on pas cependant d’aggraver la crise économique et de générer encore davantage de licenciements? «Nous sommes conscients de la crise économique à venir, répond Alessandro Pelizzari. Il y a évidemment un arbitrage à faire entre les risques sanitaires et économiques, mais nous refusons de jouer les uns contre les autres.»
Baisse du PIB, perte de pouvoir d’achat, faillites ou encore licenciements: les conséquences de la pandémie s’annoncent désastreuses sur le plan économique. Alors qu’un tiers de la population active est au chômage partiel, la priorité pour les syndicats alémaniques et pour l’USS est de préserver les emplois. Ce qui suppose une reprise économique rapide.
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S’il exige qu’elles soient assorties de garanties sanitaires, le président de l’USS, Pierre-Yves Maillard, ne remet pas en cause les ouvertures du Conseil fédéral. «Il était évident que l’impact social et sanitaire global d’un confinement prolongé finirait par dépasser ses avantages momentanés, estime-t-il. Du point de vue de la maîtrise de l’épidémie elle-même, d’ailleurs, l’efficacité des confinements opérés reste discutée. Ce qu’on sait en revanche, c’est qu’une mesure qui coûte à la société 40 milliards de francs par mois ne peut pas durer indéfiniment. Cela ne veut pas dire que tout doit recommencer comme avant, mais il faut inventer d’autres voies.»
Endiguer la crise sociale
Sur le fond, le Röstigraben s’explique par des différences cantonales face à l’épidémie mais aussi par des sensibilités idéologiques variables: à Genève, le front syndical est traditionnellement plus offensif qu’à Berne. Il n’empêche, Pierre-Yves Maillard préfère insister sur la ligne commune qui unit les syndicats suisses. «Nous voulons renforcer l’inspection du travail et améliorer les conditions de vie des salariés qui ont été exposés, détaille-t-il. Alors que le chômage de masse risque d’engendrer des dégâts sociaux plus larges, nous demandons une couverture salariale totale pour les salaires bas et moyens, massivement frappés par le chômage partiel, ainsi qu’une protection contre le licenciement.»
A l’heure du déconfinement, d’autres revendications émergent. «Au-delà des primes de risques, les métiers considérés comme indispensables méritent une revalorisation salariale, juge Alessandro Pelizzari. Cette épidémie va coûter énormément à la population, pas question que les salariés en assument seuls le prix.»
Alors que les milieux patronaux ont déjà annoncé que la crise laisserait des traces, le combat s’annonce rude. «Il n’y aura pas de vraie revalorisation du travail des soignants et des vendeurs, par exemple, sans une action syndicale et politique déterminée», estime pour sa part Pierre-Yves Maillard. A moyen terme, comment financer la reprise économique? L’ancien conseiller d’Etat évoque le recours momentané à l’endettement et le rôle de la BNS pour «réinjecter des moyens et relancer la consommation en évitant la casse sociale». A plus long terme, le débat portera selon lui sur la justice fiscale.