RIE III: l’économie face au désaveu populaire
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Après l’initiative Minder et l’immigration, les organisations économiques perdent un troisième enjeu majeur. Le ton virulent de l’USAM est critiqué. Comment rétablir la confiance avec la population?

Au lendemain du rejet de la troisième réforme de l’imposition des entreprises (RIE III), les organisations économiques ont la gueule de bois. Comme après l’acceptation de l’initiative Minder en 2013. Comme à la suite de l’adoption de l’initiative de l’UDC sur l’immigration en 2014. Ces échecs montrent que, lorsque l’économie ne parvient pas à démontrer qu’une réforme ou un projet important à ses yeux l’est aussi pour la population, celle-ci ne la suit pas.
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Confrontés à ces insuccès, Cristina Gaggini, directrice romande d’economiesuisse, et Blaise Matthey, directeur de la Fédération des entreprises romandes (FER) à Genève, tiennent à souligner que ces cas restent des exceptions: «Nous avons été du côté des vainqueurs pour d’autres votes sensibles comme l’imposition des successions, AVS +, les salaires minimaux, la sortie du nucléaire, l’économie verte, l’initiative 1:12», énumèrent-ils à l’unisson.
Au-devant de la population
«Je ne note pas de manque de confiance fondamental envers nos organisations», complète le président de l’Union suisse des arts et métiers (USAM), le conseiller national UDC Jean-François Rime. Ne fût-elle que partielle, la rupture entre la population et la grande économie est pourtant réelle. Comme l’a révélé «Le Temps», economiesuisse, Interpharma, Swissmem, Scienceindustries, les assureurs et les banquiers sont allés au-devant de la population après le vote du 9 février 2014 pour comprendre cette cassure.
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«Nous avions déjà observé ce fossé entre les élites politiques et économiques et la population après l’initiative Minder. Nous avons alors lancé notre programme «Economie et société», qui a justement pour but de mieux comprendre les attentes de la population», rappelle Cristina Gaggini. Ce programme va se poursuivre, assure-t-elle, tout en relevant que l’échec de dimanche n’est pas dû à une incompréhension entre la population et l’économie. Comme Jean-François Rime et Blaise Matthey, elle l’attribue à la complexité du sujet et à l’approche réductrice des adversaires.
La question demeure néanmoins: comment l’économie pourra-t-elle regagner la confiance de la population? «Il faut anticiper le ras-le-bol des gens et ne pas le laisser croître. Lorsque le mal est fait, il est difficile de remonter la pente. Cela passe aussi par la reprise dans les médias des réalisations positives faites par les entreprises», suggère Cristina Gaggini.
De vieilles cicatrices
Cela dit, il faut relever que les organisations économiques peinent à parler d’une seule et même voix. economiesuisse et l’USAM soutenaient toutes les deux la RIE III, mais la campagne musclée menée par la seconde a divisé les esprits. Le détournement des positions d’élus de gauche et la menace d’une facture de 34 milliards de francs en cas de rejet de la RIE III ont été désapprouvés. Jean-François Rime n’exclut pas quelques «erreurs de communication» et promet que l’USAM fera la critique de l’exercice.
Au lendemain du vote, le ton officiel est à l’apaisement. L’échec rouvre cependant de vieilles cicatrices. Naguère présidées par des radicaux, les deux organisations ont longtemps défendu des positions de centre droit. Puis l’UDC a commencé à mettre le grappin sur l’USAM, plaçant d’abord le Zurichois Bruno Zuppiger à sa présidence, puis Jean-François Rime. Simultanément, un libéral-radical plus frondeur, Hans-Ulrich Bigler, a succédé au conciliant Pierre Triponez. Hans-Ulrich Bigler n’hésite pas à mener des combats très virulents, en particulier contre la SSR, sa cible privilégiée.
Différences de style
Le vote du 9 février 2014 a accentué les tensions entre les deux associations. La présence de Jean-François Rime dans le comité de l’initiative anti-immigration de l’UDC a empêché l’USAM de mener une campagne crédible contre celle-ci. Au lendemain du scrutin, economiesuisse et l’Union patronale suisse (UPS) ont mis au point une stratégie commune de mise en œuvre. Leurs propositions ont été immédiatement qualifiées de «théoriques» et «peu réfléchies» par l’USAM. En septembre 2015, le comité directeur d’economiesuisse a informé Jean-François Rime qu’il ne serait plus invité à ses séances.
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En remplacement, les présidences des trois organisations ont décidé de se retrouver au moins deux fois par année pour discuter des dossiers importants pour l’économie. «Nos relations sont correctes. Nos positions sont souvent semblables, mais les priorités diffèrent parfois», relève Jean-François Rime. «Les deux organisations doivent bien sûr collaborer. Mais c’est plus une histoire de raison qu’une histoire d’amour. Elles ont deux ADN différents, des ego très forts», observe Blaise Matthey, qui a des contacts étroits avec tout le monde.
Cela se traduit par une évidente différence de style entre l'«éthique» d’economiesuisse et une USAM qui applique désormais au champ économique les techniques de campagne que l’UDC utilise sur le terrain politique, note un observateur. La situation n’est pas près de changer. L’USAM fourbit déjà ses armes pour rouvrir le tir sur la SSR dans le cadre de l’initiative populaire «No Billag». economiesuisse risque d’assister impuissante à la fusillade, comme ce fut le cas à propos de la loi radio-TV.