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La Riviera vaudoise a accueilli une mystérieuse rencontre entre Russes et Tchétchènes

Alors que la position officielle du Kremlin est le refus de la négociation, une entrevue a récemment réuni en Suisse des parlementaires de la Douma et des indépendantistes tchétchènes. Le DFAE confirme la tenue de la rencontre, mais sans que Berne n'y ait participé. Moscou a de son côté affirmé qu'il n'y avait pas eu et qu'il n'y aurait pas de pourparlers avec ceux qu'il qualifie de terroristes.

Des membres du gouvernement autoproclamé de Tchétchénie et des députés de la Douma, le parlement russe, se sont rencontrés en secret, entre le 15 et le 20 août, dans la région de Montreux. La partie tchétchène comprenait dans ses rangs le ministre des Affaires étrangères de la république séparatiste, Ilyas Akhmadov, ainsi que Lyoma Ousmanov, représentant tchétchène à Washington et bras droit du chef indépendantiste, Aslan Maskhadov. Ce dernier est recherché par la justice russe.

Le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE), par la voix de son porte-parole, Ruedi Christen, a confirmé vendredi la tenue de cette réunion, due à «une initiative privée», a-t-il indiqué. «Le DFAE a été informé de cette rencontre entre Russes et Tchétchènes, mais il n'y a pas pris part, ni directement, ni indirectement. Elle se serait déroulée sur deux jours», a précisé le porte-parole. Berne n'a semble-t-il été averti de la venue en Suisse de ces représentants de deux camps en guerre qu'en raison de l'obligation faite aux uns et aux autres de se munir de visas pour pénétrer en territoire helvétique.

L'entrevue russo-tchétchène a très probablement eu lieu dans le cadre d'une conférence intitulée «Mondialiser la responsabilité», mise sur pied par l'organisation «Initiatives et changement» (ex-Réarmement moral), sise à Caux (VD) et dont le président est Cornelio Sommaruga. «Initiatives et changement», souligne l'un de ses animateurs, Christoph Spreng, n'est toutefois pas à l'origine des pourparlers russo-tchétchènes qui se sont tenus dans ou à proximité de la station vaudoise. «Ils ne figuraient pas à notre programme, affirme-t-il. Nous avons pour notre part organisé une conférence, à laquelle se sont inscrits 64 participants, dont des Russes et des Tchétchènes.»

Contactée, l'ambassade de Russie à Berne n'a fait aucun commentaire, vendredi, sur cette rencontre qui sent le soufre. La position officielle de Moscou vis-à-vis des rebelles tchétchènes est le refus de la négociation. Une interview du leader Aslan Maskhadov, parue vendredi dans le quotidien russe Kommersant, cinq ans jour pour jour après la signature du traité qui a mis fin au premier conflit tchétchène (1994-96), a d'ailleurs provoqué la colère du conseiller du Kremlin pour le conflit en Tchétchénie, Sergueï Iastrjembski, qui a jugé «inadmissible» la publication de cet entretien, a rapporté vendredi l'AFP. Le 15 mars 2000, Moscou a interdit à tous les médias d'ouvrir leurs colonnes ou leur antenne aux principaux leaders indépendantistes tchétchènes. «Diffuser les déclarations directes des terroristes tchétchènes signifie faire la propagande du terrorisme», avait alors estimé le Ministère de l'information.

Volonté

Jeudi soir, la chaîne de télévision russe NTV a annoncé qu'Aslan Maskhadov avait déclaré dans un entretien téléphonique avec la radio Nemetskie Volni (une radio en langue russe qui émet depuis l'Allemagne) qu'une rencontre avait eu lieu en Suisse, sous l'égide de l'OSCE, la semaine dernière, entre, d'une part, des représentants du gouvernement russe et, de l'autre, des hommes de l'ex-président tchétchène. Interrogé sur l'identité des négociateurs, le leader indépendantiste a refusé de répondre. Moscou a de son côté affirmé qu'il n'y avait pas eu et qu'il n'y aurait pas de pourparlers avec ceux qu'il qualifie de terroristes.

Aucune information n'a filtré jusqu'ici sur le contenu ni sur la qualité des entretiens russo-tchétchènes de Suisse. Mais le fait qu'ils aient eu lieu montre que les deux parties paraissent vouloir trouver un règlement au conflit qui les oppose. Selon le conseiller du Kremlin pour la Tchétchénie, pourtant, «il n'y aura pas de second Khassaviourt (localité où a été signé le dernier armistice), qui est l'une des pages les plus négatives de l'histoire de la Russie moderne». Depuis le début du deuxième conflit russo-tchétchène, en octobre 1999, le pouvoir russe a toujours nié violemment avoir eu la moindre discussion avec les chefs tchétchènes. Aussi la rencontre qui vient d'avoir lieu en Suisse, aujourd'hui reconnue par les autorités helvétiques, serait-elle la première entrevue à un niveau officiel entre les parties en guerre.

Curieuse annonce

En Suisse, des volontés se manifestent depuis quelques mois pour tenter de réunir Russes et Tchétchènes. En juin, une curieuse annonce parue dans Le Temps à l'initiative d'un particulier invitait des «leaders d'opinion» des deux camps à débattre autour d'une table, dans «un restaurant élégant» de Suisse ou d'un pays voisin. Moins énigmatique, une organisation a entrepris de convoquer une conférence, cette fois-ci au grand jour, entre Russes et Tchétchènes, au motif que la Confédération est dépositaire des Conventions de Genève, violées en Tchétchénie. Il s'agit de la Société des peuples opprimés, dont la section helvétique est présidée par la conseillère nationale Ruth-Gaby Vermot-Mangold (soc./BE). Cette dernière a reçu dans son bureau de Berne, en août, le bras droit d'Aslan Maskhadov, Lyoma Ousmanov, «un homme qui veut la paix», assure la députée socialiste. La conseillère nationale affirme que Lyoma Ousmanov a eu des contacts à cette occasion avec le DFAE.