A Genève, la nature des habitations dans le futur quartier du PAV (Praille-Acacias-Vernets) est au cœur d’un bras de fer politique. La droite a tout récemment annoncé vouloir diminuer, de 62 à 33%, la proportion de logements dits d’utilité publique (LUP), pourtant votée par le peuple en 2019. Pour ce faire, elle s’appuie sur un accord conclu entre les partis politiques en août dernier au parlement qui prévoit un tiers de LUP dans toute nouvelle construction en zone de développement. A gauche, l’Asloca fait la grimace. Président de la Fondation PAV, le Vert Robert Cramer, qui a porté le projet à l’époque en tant que conseiller d’Etat, livre son analyse. Au-delà du débat sur la mixité sociale, un changement de méthode est à ses yeux nécessaire pour mener à bien ce méga-projet qui prévoit, à terme, la construction de quelque 12 000 logements.

Le Temps: Au nom de la mixité sociale, la droite veut faire baisser le nombre de logements subventionnés pour éviter que le PAV ne devienne un «ghetto». Vous y croyez?

Robert Cramer: Soyons prudents avec les mots. Quelle que soit la proportion de logements sociaux, le quartier abritera des activités à très haute valeur ajoutée, à commencer par la tour Pictet, qu’on peut difficilement assimiler à un ghetto. La droite tente de faire croire que moins il y a de logements sociaux plus l’aménagement est facile, mais c’est faux. Mal conçu, un quartier avec 10% de LUP peut se transformer en bombe sociale. Ce n’est pas la proportion qui compte mais la manière dont on s’occupe des futurs habitants. Rappelons encore que sociologiquement les HBM [habitations bon marché, destinées aux personnes à revenu très modeste] et les HLM hébergent des publics très différents. On y trouve des personnes qui cumulent des problèmes sociaux ou d’addiction, mais aussi des ménages à bas revenus, très bien insérés par ailleurs, ou encore des retraités.

Bâtir un quartier aussi grand avec deux tiers de logements subventionnés reste un défi…

La répartition actuelle a, il est vrai, des conséquences pour la fondation. Au-delà du défi financier, elle nous oblige à être particulièrement attentifs à la planification. Il faut anticiper les besoins des futurs habitants, en termes d’espaces publics, de places et de parc, mais aussi d’infrastructures (crèches, antenne médicale, maisons de quartier, etc.). Pour que la mixité fonctionne dans un quartier, les habitants doivent avoir du plaisir à y vivre. Alors que l’enveloppe par bâtiment est limitée, à nous de trouver les moyens pour garantir des logements de qualité, quitte à ce que la fondation finance une partie des coûts. Quand les objets sont beaux, ils sont moins dégradés et posent donc moins de problèmes d’entretien.

Aujourd’hui, c’est la droite qui attaque mais une partie de la gauche a aussi donné de la voix ces derniers mois en s’opposant au projet des Vernets. Comment éviter que le PAV ne se transforme en champ de bataille?

En tirant les leçons des erreurs passées. Les nombreuses critiques à l’encontre du projet des Vernets ne doivent pas être ignorées. Il faut au contraire décortiquer ce qui n’a pas fonctionné et s’en servir pour la suite. Loin de moi l’idée de trouver des coupables, cela ne m’intéresse pas. Le fait est que sans adhésion populaire le PAV ne trouvera pas sa place.

Concrètement, qu’est-ce qui a péché aux Vernets?

Il y a tout d’abord eu une erreur de méthode et d’organisation. Lancer un concours d’architectes puis un concours de promoteurs était une fausse bonne idée. Cela a fait perdre beaucoup de souplesse au projet. Au moment de la réalisation, des idées intéressantes n’ont pas pu être retenues à cause de la rigidité des plans. A cette échelle, se retenir d’améliorer certains aspects ou d’en réduire les coûts, simplement parce qu’ils ont été pensés ainsi dans un bureau, c’est du gaspillage. Ensuite, la communication autour du projet a été défaillante. Si on avait mieux expliqué ce qu’on voulait créer aux Vernets, les oppositions auraient sans doute été moindres. Le problème, c’est que le narratif autour du projet s’est perdu en cours de route. Je relis en ce moment les journaux de 2018-2019, toutes les critiques qui ont fini par émerger sous forme de pétition étaient déjà formulées, mais elles ont été ignorées.

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Il est toujours plus facile, après coup, de dire qu’il aurait fallu tout faire différemment…

Il ne s’agit pas de distribuer des bons et mauvais points. Le fait est qu’aux Vernets plus personne ne sait pourquoi on fait les choses, le projet n’a plus de cohérence. A l’origine, l’un de ses atouts, c’étaient les cours intérieures, d’immenses espaces comparables à plusieurs terrains de football. Aujourd’hui, ces lieux ont été accaparés par des infrastructures, une école notamment, qui avaient été omises dans les plans. L’espace de respiration prévu a disparu et, forcément, les immeubles ressemblent à des cubes de béton étriqués, fermés sur eux-mêmes. C’est difficilement compréhensible quand on prétend bâtir la ville du XXIe siècle, adaptée au défi du réchauffement climatique notamment.

Quelle est votre recette magique pour gagner l’adhésion de la population à l’avenir?

D’une part, il faudra être attentif à intégrer toutes les contraintes dans les futurs projets. Les écoles, crèches, permanences médicales et autres infrastructures doivent être présentes dès le départ. Il faudra également veiller à ne pas perdre le narratif du projet sous peine de le rendre illisible. L’administration doit apprendre à mieux communiquer en ce sens. D’autre part, et c’est sans doute l’essentiel, il est nécessaire qu’une même équipe porte le projet du début à la fin.

Le manque de transparence et l’aspect «verrouillé» des plans localisés de quartier (PLQ) font partie des reproches souvent formulés par les habitants…

Au moment de présenter les plans, on doit effectivement se montrer plus transparent, expliquer quel est le projet social et environnemental qu’on veut porter. Ce sera le cas pour Acacias 1, prochain PLQ amené à être présenté, qui se situe autour de l’actuel pavillon Sicli. Dès le début, lors de l’enquête publique, il faudra communiquer largement pour permettre à la population de s’exprimer et d’enrichir le projet. A ce stade de la planification, on ne peut pas remettre en cause les principes fondamentaux, mais on peut apporter des modifications. La flexibilité doit rester le maître mot. Les problèmes arrivent quand on réalise des projets conçus à une autre époque, qui ne répondent plus aux attentes de la population.