Architecture
Un projet de recherche de l’EPFZ explore les possibilités de la robotisation de l’architecture. Pour expérimenter au quotidien leurs propres inventions, des chercheurs logeront dès 2018 dans une maison issue de procédés de fabrication numériques

Pourquoi bâtir des murs droits lorsqu’on peut faire autrement? Avec la robotisation de la construction, les horizons des architectes s’élargissent. Les maisons prennent des formes asymétriques, se parent de motifs géométriques ou se mettent à onduler, comme le mur en forme de vague que fabrique en ce moment la nouvelle machine sortie d’un laboratoire de l’école polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ).
Ce grand robot blanc et noir de deux mètres, monté sur des chenilles, appelé «In Situ Fabricator», a été présenté jeudi à la presse. Derrière un écran d’ordinateur, un jeune homme, casque de chantier sur la tête, surveille les opérations réalisées à partir d’algorithmes conçus par des programmateurs. Un bras articulé coupe et soude de fines barres d’acier avec des mouvements lents et réguliers, laissant dans son sillage une structure complexes, parfaitement symétriques. Les robots ne remplaceront pas totalement les humains: une fois le treillis achevé, il faudra couler du béton, puis égaliser la façade à la main.
Des robots à chaque étape
Mathias Kohler tend le bras au travers de la pièce: «ici, ce sera la cuisine. De l’autre côté, une chambre», explique le professeur d’architecture de l’EPFZ. Pour expérimenter au quotidien leurs propres inventions, des chercheurs de l’Empa, le laboratoire fédéral d’essai des matériaux et de recherche, logeront dès 2018 dans cette maison, issue en grande partie de procédés de fabrication robotisés. D’autres secteurs économiques ont déjà connu leur révolution numérique. La construction en est à ses débuts et c’est à Zurich que se dessine le futur de l’habitat. A Dübendorf, plus précisément, où se trouve le centre de recherche et d’innovation Nest (pour Next Evolution in Sustainable Building Technologies).
La numérisation intervient à chaque étape de la construction: lors du dessin des plans, mais désormais aussi pour la fabrication des murs, des toitures ou des planchers. Ce projet est la première étape d’un programme financé par le Fonds national suisse de la recherche scientifique à hauteur de 13,4 millions. Il réunit 38 personnes, dont huit professeurs de l’EPFZ: programmeurs de robots, scientifiques spécialistes en matériaux, ingénieurs en bâtiment. «Cette maison est une petite pierre sur le chemin de la construction digitale», image Mathias Kohler. Le professeur d’architecture et de design, large sourire et carrure imposante, fait figure de pionnier dans le milieu: il a ouvert le premier laboratoire d’architecture digitale en 2005 à l’Epfz.
Plus durable
Les robots permettent de construire de manière plus durable et écologique, mais aussi de gagner en efficience, expliquent les chercheurs. Ainsi, la programmation permet de concevoir des structures plus complexes et d’optimiser leurs formes, de manière à obtenir la même solidité qu’un mur classique, tout en en réduisant la quantité de matériaux utilisés. Par exemple, la paroi en forme de vague possède un treillis si étroitement assemblé qu’il ne nécessite pas de coffrage. D’ordinaire, cette enceinte destinée à contenir le béton représente entre 53 et 60% des coûts.
Ces nouvelles méthodes élargissent le champ des possibles pour les architectes, explique encore Mathias Kohler. «Le robot amène davantage de flexibilité dans notre travail. Nous gagnons en liberté». Pour l’instant, ces machines ne s’activent que dans les laboratoires des scientifiques. Mais les chercheurs espèrent qu’un jour, ils feront partie du quotidien des chantiers de construction.
Les robots de l’EPFZ préfigurent les profondes transformations qui attendent les métiers de la construction, voués à s’automatiser et se complexifier. Mathias Kohler voit cette évolution d’un œil optimiste: «Nous aurons toujours besoin d’artisans et d’ouvriers, souligne l’architecte. Notre objectif n’est pas de rationaliser à tout prix». L’architecte s’inquiète plutôt du déclin de l’intérêt des jeunes pour les métiers de la construction. «Je suis convaincu que la robotisation rendra ce secteur plus attractif», dit-il.