Il harangue, provoque, lance des torpilles contre ses adversaires politiques, ridiculise Simonetta Sommaruga et Didier Burkhalter, amuse son public, bref, il maîtrise la recette du discours efficace. D’où lui vient ce goût du verbe, lui, l’homme de presse écrite? «Déjà à l’école, puis à l’Université, j’aimais faire des exposés», se souvient-il. «Jeune critique de cinéma à la NZZ, j’avais eu l’occasion d’interviewer le cinéaste et scénariste Paul Schrader. Je lui avais demandé comment il savait si un scénario était bon. Il m’avait dit qu’il le racontait à un collègue et qu’il observait si celui-ci l’écoutait. Un bon discours répond à la même règle», poursuit-il.
«Quand il parle, je vois la Weltwoche»
«Il fait passer ses messages avec de belles tournures de phrase et des images. Quand il parle, je vois la couverture de la Weltwoche. C’est une bête de scène, comme Christoph Blocher», note un membre du parti qui s’adonne à l’exercice de la comparaison. Mais le style est différent. Christoph Blocher a compensé sa taille modeste par une gestuelle lourde renforcée par un langage simple et populaire. De stature plus grande, Roger Köppel n’a pas besoin de gesticuler mais, plus intellectuel, il vulgarise moins.
Lui qui avait naguère soutenu la politique du social-démocrate Gerhard Schröder en Allemagne, n’a adhéré à l’UDC qu’au printemps 2015. Depuis lors, il a pris la parole lors de trois assemblées des délégués sur cinq. Le Temps l’a vu à l’œuvre lors des deux dernières, en avril à Langenthal et en août à Wettingen. Son aisance verbale et son goût de la provocation lui assurent le succès devant un public «qui ne demande qu’à entendre ce qu’il leur dit», témoigne le conseiller national et ancien diplomate Tim Guldimann (PS/ZH), invité à défendre les relations Suisse-UE au meeting de Wettingen.
Le message général avant les détails
«Il est intelligent, parle bien, connaît ses dossiers mais tend, pour des raisons rhétoriques, aux exagérations. Il présente les faits de manière plus dramatique qu’ils ne le sont en réalité», commente de son côté le président du PDC, Gerhard Pfister. Roger Köppel détourne-t-il les faits pour mieux séduire? Il s’en défend: «Je ne m’éloigne jamais des faits», martèle-t-il.
Pour le vérifier, prenons l’exemple de la loi sur l’asile qu’il a combattue devant les délégués à Langenthal. Il s’en est pris avec sarcasme aux avocats gratuits: ceux-ci allaient coûter cher à l’Etat, car on n’a jamais vu un avocat accélérer une procédure. Hilarité générale. Mais Roger Köppel a omis de préciser que, parce que payés au forfait, ces avocats payés n’auraient aucun intérêt à faire traîner les dossiers. N’a-t-il pas travesti la vérité? «Non, parce que ce système attractif va créer la demande. On ouvre une autoroute à quatre voies devant ceux qui cherchent l’asile», répond-il. Les détails comptent moins que le message général.
Il se profile ainsi comme le nouveau meneur de l’UDC, un rôle que Christoph Blocher peut désormais lui laisser pour se consacrer à la stratégie. Logiquement, on lui a trouvé une place dans la garde rapprochée du nouveau président Albert Rösti, avec la responsabilité de la politique européenne. Et avec le risque que Roger Köppel fasse de l’ombre au Bernois, moins bon orateur.
«Je ne suis pas sûr de sa sincérité»
Albert Rösti n’affiche pas la même assurance verbale. «J’ai aussi eu beaucoup de réactions après mon discours devant les délégués», se défend-il. Peut-être, mais son ton est moins ferme, sa voix est parfois chevrotante, sa nervosité souvent palpable. De sorte que l’on sent émerger un couple semblable à ceux que Christoph Blocher formait naguère avec ses présidents successifs: l’un préside, l’autre enflamme. «Nous n’avons pas le même rôle. Le mien est de faire avancer le parti, de le tenir ensemble, ce qui n’est pas simple avec 90 000 membres et une trentaine de sections dont les visions sont parfois différentes», confirme Albert Rösti. Les deux hommes se sont-ils entendus pour se répartir ainsi les rôles? Officiellement non. «Mais j’avoue y avoir réfléchi», nuance le président.
Editeur disposant de sa propre publication politique, orateur de talent, Roger Köppel ne risque-t-il pas de devenir la tête qui dépasse dans un pays qui n’aime pas les têtes qui dépassent? «Bien sûr. Les gens de l’UDC veulent un nouveau leader. Il est très intelligent et cultivé et est maître dans l’art de la séduction du collectif», acquiesce Tim Guldimann. «Mais il serait plus crédible et plus dangereux pour la gauche si l’on ressentait que ce qu’il fait et dit vient de convictions intimes. Or, quelles sont ses convictions?», s’interroge-t-il cependant.
«J’espère être dangereux sur le fond pour ceux qui se sentent bien installés dans leur confort. Mais je reste sous surveillance, de la part de mes lecteurs comme de ceux qui m’écoutent», réplique Roger Köppel. A la différence que l’auditoire UDC de base, qui crie «vas-y Roger!», n’est guère critique envers ses leaders. Et c’est cela qui inquiète des adversaires politiques peu désireux de voir émerger un second Blocher. «C’est un ancien militant de gauche. Il me donne l’impression d’un acteur qui pourrait tout aussi brillamment penser et écrire le contraire de ce qu’il dit. Je ne suis donc pas sûr de sa sincérité. C’est le propre des renégats, qui sont plus fanatiques que ceux qui n’ont jamais changé de camp», analyse un ténor d’un autre parti.