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Le salaire des enseignants, cet oublié d’HarmoS

Le concordat apporte une harmonisation nécessaire. Mais les traitements peuvent varier de 30% d’un canton à l’autre

Harmoniser les pratiques de l’école obligatoire entre les cantons, notamment pour faciliter la mobilité des élèves. C’est la grande ambition du concordat HarmoS qui est entré en vigueur l’an dernier. Au niveau du traitement des enseignants, en revanche, rien à signaler: les différences entre cantons vont subsister avec des différences parfois abyssales. Le cas extrême oppose l’instituteur genevois et son homologue jurassien: le premier débute sa carrière avec un salaire annuel brut de 97 000 francs contre 68 000 pour le second. Un écart qui reste stable tout au long de leurs carrières respectives (voir l’infographie ci-contre).

HarmoS n’aurait-il pas dû également viser une certaine harmonisation des salaires entre cantons? «Ce point n’a jamais fait l’objet de discussions, indique le Fribourgeois Léon Gurtner, président de la Conférence latine de l’enseignement obligatoire (CLEO). Les politiques salariales relèvent de prérogatives cantonales. Peut-être est-ce souhaitable, mais c’est une autre démarche. Il faudrait alors tenir compte de l’entier des éléments en jeu: nombre d’unités d’enseignement, décharges éventuelles, avance dans la carrière, caisse de prévoyance, sans oublier les conditions de vie.»

La problématique est extrêmement sensible. Le syndicat enseignant alémanique LCH (Dachverband Schweizer Lehrerinnen und Lehrer) récolte depuis presque vingt ans les salaires des enseignants de tous les cantons suisses. Il en tire un guide comparatif estampillé «confidentiel» réservé à un usage strictement interne. «Nous ne voulons pas que ces chiffres servent à faire des hit-parades, souligne Franziska Peterhans, Secrétaire générale du LCH. De telles comparaisons sont complexes. Elles ne donnent qu’une vision partielle de la situation des enseignants.»

Cette réserve s’explique aussi par des raisons stratégiques. Les sections cantonales du LCH ou du Syndicat des enseignants romands (SER) mettent en avant les comparaisons qui leur sont les plus défavorables lors des négociations avec le pouvoir politique. Les autres restent au fond d’un tiroir.

Sans l’aide du LCH, il faut récolter les chiffres auprès des différents services de l’enseignement obligatoire pour se faire une idée des disparités entre cantons. La démarche, de longue haleine, met en lumière des pratiques très différentes. Dans les cantons de Vaud et Berne, par exemple, les tableaux de traitement disponibles sur Internet sont difficilement compréhensibles pour le profane avec des répartitions en zones, en échelons et en classes.

La mise en perspective des salaires versés dans les différents cantons montre une situation relativement homogène. Genève fait exception: les traitements élevés s’expliquent par une formation plus longue – introduction d’une filière universitaire en 1995 – et un coût de la vie supérieur à celui des autres cantons. En queue de classement, Jurassiens et Neuchâtelois connaissent une situation très similaire: après une progression rapide sur une dizaine d’années, ils sont privés d’augmentation jusqu’à la fin de leur carrière.

Ces inégalités sont bien connues dans l’Arc jurassien où les futurs enseignants suivent le même cursus au sein de la Haute Ecole pédagogique (HEP) Bejune. Une situation qui pose parfois problème. «Nous avons eu le cas d’une maîtresse enfantine qui a perdu 1000 francs de salaire mensuel en passant de Berne à Neuchâtel, indique John Vuillaume, président du Syndicat autonome des enseignants neuchâtelois (Saen). Avec l’augmentation de la mobilité des enseignants, une harmonisation serait souhaitable.» Le syndicaliste reconnaît la difficulté de la tâche: «Dans l’espace Bejune comme ailleurs, les salaires varient selon le niveau d’enseignement. Le Jura est plus généreux pour le secondaire 1 et Berne pour le secondaire 2. Les niveaux de salaire révèlent l’importance que donnent les autorités politiques à l’école. On l’a vu dans le canton de Vaud (lire ci-contre). C’est le système le plus sélectif de Suisse romande, avec une école très hiérarchisée. L’accent a été mis sur les collèges au détriment de l’école primaire. Cela se traduit dans la formation, moins exigeante qu’ailleurs, et dans le niveau de salaire.»

Pour revaloriser le statut – et donc le salaire – des maîtres du primaire, le SER souhaite prolonger la formation d’une année dans les HEP (de trois à quatre ans). Léon Gurtner n’y est pas favorable. «Je le dis à titre personnel, car la CLEO n’a pas pris position sur cette question, précise-t-il. A mon sens, ce serait faire de la surenchère. Il est préférable de viser le master (5 ans) pour des formations complémentaires.»

John Vuillaume considère que cette prolongation est indispensable pour redonner «une nécessaire attractivité» à une profession «qui n’a cessé de perdre de son prestige depuis les Trente Glorieuses». Léon Gurtner estime que ce mouvement de désacralisation n’est pas propre à l’enseignement: «Aucune profession n’échappe à ce regard critique. Il est lié à l’augmentation du niveau de savoir de la population. Les médecins aussi sont touchés.»

Le haut fonctionnaire rejoint le syndicaliste sur un point: hormis à Genève, le salaire des instituteurs est trop bas et devrait «se rapprocher des traitements octroyés dans le secondaire 1 ou 2, particulièrement en phase initiale». Peut-être seront-ils bientôt entendus en Valais: le Grand Conseil se prononcera le 6 mai prochain sur une augmentation du salaire des enseignants du primaire de 500 francs par mois dès 2016.