Ce sera, une nouvelle fois, l'UDC contre le reste du pays. Christoph Blocher et ses troupes ont réuni 116 709 signatures à l'appui de l'initiative populaire «Le droit suisse au lieu de juges étrangers», dite initiative d'autodétermination. Les paraphes ont remis à la Chancellerie dans des cartons disposés en forme de barrière devant le bâtiment.

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Avant même la remise des signatures, la résistance a commencé à s'organiser. Une coalition politico-économico-civile très semblable à celle qui a mis à terre en février l'initiative d'application du renvoi des criminels étrangers est en train de se constituer. On y retrouvera les principales associations faîtières de l'économie, Economiesuisse en tête, les sept partis politiques représentés au parlement fédéral qui ne font pas partie du groupe UDC ainsi qu'une alliance de 75 organisations sensibles à la problématique des droits humains. Cela fait du monde.

Contre le Tribunal fédéral

L'initiative de l'UDC a pour but d'accorder en toutes circonstances la priorité au droit constitutionnel suisse. Ainsi, lorsque le peuple adopte une initiative populaire qui entre en collision avec des accords internationaux, c'est l'initiative qui prime. Et tant pis si cela nécessite la résiliation de l'un ou l'autre traité. «Il n'est pas admissible que l'on juge inapplicable l'initiative sur le renvoi des étrangers criminels parce qu'elle serait contraire au droit international», critique le président du parti, Albert Rösti.

L'article constitutionnel sur l'immigration est un autre cas de contradiction flagrante: il réclame des contingents et la préférence indigène à l'embauche, deux mesures qui contreviennent aux règles de l'accord bilatéral sur la libre circulation des personnes.

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L'UDC est particulièrement remontée contre le Tribunal fédéral. En 2012, il a considéré que la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH) devait être prise en compte dans la réglementation de l'expulsion des criminels étrangers. Rebelote en 2015: les juges de Mon-Repos ont considéré que l'accord sur la libre circulation était prioritaire par rapport à l'article constitutionnel sur l'immigration.

Seul le droit impératif

L'UDC veut également faire barrage à la conclusion d'un accord institutionnel entre la Suisse et l'UE, qui confierait à la Cour de justice de l'UE (CJUE) l'arbitrage des différends entre les deux parties dans l'application des accords bilatéraux. «C'est l'UE qui définirait notre droit», s'étrangle Christoph Blocher. Le seules règles internationales dont l'UDC reconnaît la primauté sont celles qui concernent ce qu'on appelle le droit impératif, à savoir l'interdiction de la torture et de l'esclavage, le génocide et les crimes de guerre.

Avec cette initiative, l'UDC prétend garantir la sécurité du droit, notamment pour les entreprises. «Les procédures d'établissement des lois sont, en démocratie directe, volontairement longues. C'est un avantage. C'est ce qui fait la sécurité de notre droit. Nos conditions cadres sont meilleures qu'ailleurs«, insiste Christoph Blocher.

Accords économiques menacés

Cette analyse n'est pas du tout partagée par Economiesuisse ni par les autres partis politiques. «L'acceptation de cette initiative aurait une incidence sur des centaines d'accords économiques et créerait une incertitude juridique persistante», réplique l'organisation dans un communiqué. «Des traités importants pour les entreprises suisses, comme ceux qui concernent la protection des investissements, le trafic aérien, le libre-échange ou certains accords bilatéraux passés avec l'UE» pourraient être remis en question. «Pour les activités économiques d'exportation suisse, de tels accords internationaux sont existentiels», renchérissent, dans une prise de position commune, les président(e)s du PS, du PDC, du PLR, des Verts, des Vert'libéraux, du PBD et du Parti évangélique.

Des ONG inquiètes

Les conséquences de l'initiative sur la CEDH préoccupent tout particulièrement les ONG. Albert Rösti affirme que l'UDC n'a pas l'intention de faire résilier la Convention européenne et que seules sont visées des «décisions politiques» de la Cour européenne des droits de l'homme ne respectant pas les droits populaires. Les ONG ne le croient pas. Elles sont convaincues que l'intention cachée de l'UDC est bien de dénoncer cette convention. «Ils veulent le faire par la petite porte. La CEDH fixe des standards minimaux en matière de droits humains. Quel message la Suisse délivrera-t-elle à des pays comme la Russie, la Hongrie ou la Turquie si elle remet ces standards minimaux en question», s'étrangle Andrea Huber, directrice de la campagne Facteur de protection D soutenue par une coalition de 75 organisations diverses.

Le Conseil fédéral se prononcera sur l'initiative d'ici à l'été prochain. La votation populaire aura lieu au plus tôt en 2018. Mais la résistance s'organise déjà.