Données
Sébastien Fanti, le préposé valaisan à la protection des données, craint que les applications sportives n’ouvrent la porte à un système de bonus-malus dans l’assurance maladie

Des applications de suivi de la santé personnelle contre des accommodements de la part des assureurs: c’est l’offre que certains d’entre eux proposent à leurs clients. Le préposé valaisan à la protection des données Sébastien Fanti analyse cette évolution de manière sévère.
Lire aussi: Les assureurs veulent imposer leurs applications sportives
Le Temps: Selon un sondage du consultant EY Schweiz, 43% des gens sont prêts à fournir des données sur leur santé en échange d’une contre-prestation financière. Cela vous inquiète-t-il?
Sébastien Fanti: Oui, cela m’inquiète sérieusement, dès lors qu’un tel état de fait témoigne d’un consentement peu investigué au partage de ces données. Les gens sont d’une naïveté confondante. Ils n’ont pas conscience de la valeur de leurs données. Les données, c’est le pétrole du XXIe siècle. A titre d’exemple, un seul téléchargement rapporte entre 300 à 400 francs à WhatsApp, grâce aux numéros de téléphone et à la publicité.
Les assureurs fondent leurs offres sur la prévention de la santé, un but très louable. Quel genre de dérapage craignez-vous à l’avenir?
C’est un marché de dupes. L’assuré sacrifie bien plus ce que ce qu’il imagine. Il se met à nu sans l’assurance que sa santé sera meilleure et sans contrepartie équitable. Les gens qui donnent les informations n’ont pas compris que le principe de solidarité va disparaître.
C’est-à-dire?
Actuellement, le système de santé est basé sur un principe de solidarité assurant un catalogue de soins pour tout le monde dans l’assurance de base. Mais ce principe va bientôt s’effondrer. Ceux qui participent à ces actions des caisses ne se rendent pas compte qu’à la fin, tout cela va déboucher sur un nouveau système de bonus-malus dans l’assurance maladie. On se dira: «Pourquoi est-ce que je paierais pour mon voisin qui ne fait que boire et fumer». Toutes ces données transmises aux caisses vont concourir à l’établissement de mauvais profils d’assurés. Cela me choque. A l’avenir, la prime d’assurance maladie sera calculée en fonction du risque que vous représentez. Les premières victimes en seront les fumeurs.
Que conseillez-vous aux assurés?
Qu’ils prennent leur destin en main et qu’ils ne transmettent pas aux caisses davantage de renseignements que celles-ci demandent. Sinon, ils affaibliront les chances d’une médecine solidaire. Dans vingt ans, les assurés au profil à risques identifiés risquent de devoir s’acquitter d’une prime de 1000 francs par mois.
N’est-ce pas un scénario catastrophe que vous esquissez là? Les offres actuelles des caisses pour inciter leurs clients à faire du sport ne concernent que l’assurance complémentaire.
Je crains qu’il ne reste plus qu’une assurance de base minimale et que le reste, ce sera à l’assuré de le payer. Il n’y aura plus d’égalité des chances, plus de démocratie. Nous sommes tous des embryons du big data. Une fois qu’une technologie permet d’optimiser un processus, soit-il de santé, croyez-vous que la résistance éthique va permettre de l’occulter?
Les assureurs jurent tous qu’ils respectent la protection des données. Les croyez-vous?
Au départ, tout paraît toujours très respectueux de la loi. En réalité, beaucoup de dérives sont possibles avec les outils qu’on a déjà et pas du seul fait des assureurs, qui sont, eux, très contrôlés. Le big data ne fait pas l’objet de normes strictes. Le Conseil fédéral a failli à protéger ses citoyens de ses excès. En n’intégrant pas exhaustivement cette thématique dans la nouvelle loi sur la protection des données et en tolérant des collectes massives non encadrées, il a littéralement offert nos données aux phagocyteurs.