Selon Eveline Widmer-Schlumpf, l’accord à intervenir devrait inclure une suspension des poursuites
Litige fiscal avec les états-Unis
Alors que les autorités américaines ont décidé de poursuivre pénalement la banque Wegelin, la ministre des Finances a donné vendredi quelques précisions sur le contenu de l’accord que la Suisse souhaite obtenir pour mettre un terme au différend avec Washington
L’inculpation de Wegelin, après la mise à la disposition des autorités américaines de données bancaires, certes cryptées, mais hors de tout contrôle judiciaire, montre que la partie qui se joue entre la Suisse et les Etats-Unis, loin d’être terminée, est au contraire entrée dans une phase d’escalade. Les derniers événements ne semblent pas avoir été anticipés du côté suisse et les experts sont déconcertés par les développements que prend un dossier toujours plus difficile à décrypter. Seule certitude: les Etats-Unis sont sur une ligne particulièrement dure.
Faut-il redouter de nouvelles inculpations?
Théoriquement, oui, même s’il est difficile d’expliquer pourquoi le Département américain de la justice (DoJ) lance maintenant des poursuites pénales contre l’une seulement des onze banques suisses impliquées, et pourquoi il a choisi Wegelin pour cible. Washington fait certes la preuve de sa détermination, mais le DoJ ne peut ignorer non plus qu’en s’en prenant à la banque privée saint-galloise, déjà à terre, il lui est «difficile de faire davantage de dégâts», note une source au fait du dossier.
La question se pose désormais de savoir si d’autres établissements encore bien portants pourraient connaître le même sort, avec les risques que cela entraînerait pour leur survie. Une inculpation de Credit Suisse – too big to fail – aurait les mêmes conséquences dévastatrices qui avaient amené la Finma à des concessions sans précédent pour éviter à tout prix des poursuites contre UBS. Menacée d’une inculpation du même type que celle qui vient de viser Wegelin, UBS, rappelons-le, avait pu conclure in extremis, le 18 février 2009, un Deferred Prosecution Agreement avec le DoJ, un accord qui suspendait les poursuites.
Pourquoi la Suisse a-t-elle accepté de livrer des données cryptées?
Un expert aussi avisé que l’avocat et professeur de droit fiscal à l’Université de Genève Xavier Oberson, qui avait épaulé les représentants suisses chargés de négocier la nouvelle convention de double imposition avec les Etats-Unis en 2009, avoue avoir été «très surpris» par l’envoi de ces données cryptées, accepté il y a quelques jours par le Conseil fédéral.
La démarche, surprenante, constitue en fait la porte de sortie trouvée par les Suisses pour se tirer d’une situation embarrassante. En décembre dernier, le DoJ avait décidé de passer par-dessus les autorités suisses en s’adressant directement aux onze banques pour leur ordonner de livrer, jusqu’au 31 décembre, les informations nécessaires sur leurs affaires avec des clients américains, afin de les utiliser dans des procédures pénales. La Suisse a alors protesté, rappelant que le comportement du DoJ le mettait en infraction avec le Code pénal, qui réprime les actes de souveraineté exécutés sans droit pour un Etat étranger. Les discussions pour trouver une issue se poursuivent aujourd’hui, explique le porte-parole de l’Office fédéral de la justice, Folco Galli, mais une solution partielle a pu être trouvée.
Les informations demandées par les Américains concernant l’une des onze banques se trouvaient en effet déjà aux Etats-Unis, aux mains de la Securities and Exchange Commission (SEC), à qui la Finma les avait transmises dans le cadre d’une procédure de surveillance des marchés financiers, détaille Folco Galli. Selon nos sources, il s’agit de Credit Suisse.
La mise à disposition de cette documentation n’est donc pas intervenue dans le cadre ordinaire de l’assistance administrative en matière fiscale. Il ne s’agit d’ailleurs pas d’informations relatives à des comptes bancaires, mais de données statistiques et de marché, l’identité des clients et des collaborateurs, lorsqu’elle apparaît, devant alors être cryptée. Seules les informations relatives à des personnes déjà inculpées aux Etats-Unis peuvent être transmises en clair.
Estimant que les conditions fixées à la coopération pénale entre la Suisse et les Etats-Unis étaient réunies, puisque le DoJ entend poursuivre des cas de fraude fiscale, les Suisses ont donné leur feu vert à la SEC pour transmettre ces documents au DoJ.
Quelle est la stratégie suisse?
La «solution globale dans le cadre du droit existant» annoncée comme «proche» par Berne depuis de longs mois n’est toujours pas sous toit, et la Suisse paraît toujours plus sur la défensive. Une source au fait du dossier stigmatise «l’absence de stratégie» du Conseil fédéral et plus particulièrement de la ministre Eveline Widmer-Schlumpf et de son secrétaire d’Etat, le pourtant très expérimenté Michael Ambühl.
A quelle issue peut-on s’attendre?
L’accord à intervenir devrait inclure une suspension des poursuites pénales ouvertes aux Etats-Unis, a indiqué Eveline Widmer-Schlumpf vendredi lors des entretiens de Watteville avec les partis gouvernementaux. Il comprendra sans aucun doute l’acceptation des fameuses demandes groupées, ciblant des catégories entières de clients, prévoit Xavier Oberson. Avec, à la clé, des milliers de noms à livrer. «Il faut se rappeler que la nouvelle convention de double imposition signée en septembre 2009 n’exige même pas une soustraction. Il suffit que le renseignement soit «vraisemblablement pertinent» pour la taxation du contribuable concerné. Cela risque de multiplier encore le nombre de clients concernés.» Il faut également s’attendre, selon Xavier Oberson, que les banques doivent payer des amendes élevées.