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Serdar Kurnaz, bâtisseur d'un islam suisse

L'Allemand co-dirige le Centre Islam et société de l’université de Fribourg, en duo avec le théologien chrétien Hansjörg Schmid. Rencontre avec un jeune chercheur

Serdar Kurnaz a été imam en Allemagne avant de devenir théologien — © Véronique Botteron
Serdar Kurnaz a été imam en Allemagne avant de devenir théologien — © Véronique Botteron

Au premier abord, une once de timidité transparaît derrière la main tendue et le sourire de Serdar Kurnaz. Mais, à mesure que la discussion se déroule autour de sa quête intellectuelle de l’islam, la nervosité laisse place à une tranquille force de conviction.

À 27 ans, le jeune homme venu d’Allemagne endosse un rôle exposé: le théologien musulman codirige depuis le mois de septembre le Centre Suisse Islam et Société (CSIS) de l’université de Fribourg, aux côtés du théologien du christianisme Hansjörg Schmid.

«Réactualiser le Coran»

Serdar Kurnaz aborde dès cet automne, dans son premier cours, l’analyse des textes du coran, le droit islamique, les paroles des prophètes ou encore l’histoire de l’islam. Avec comme objectif d’instaurer un dialogue «dynamique» sur la tradition.

«Il n’existe pas un seul islam, mais plusieurs interprétations marquées par l’expérience européenne, allemande, ou suisse, de cette religion. Il faut pouvoir réactualiser le Coran, si nécessaire», dit-il.

Le théologien plaide pour une lecture des textes anciens à la lumière des réalités contemporaine. À l’image de ceux qui, après les attentats terroristes de Paris en janvier, appelaient à un éveil des intellectuels musulmans pour contrer les discours fondamentalistes.

Mais l’entrée de l’islam dans le paysage académique ne plaît pas à tout le monde. L’UDC fribourgeoise a déclaré la guerre au CSIS. Elle a remporté une première bataille en récoltant 9000 signatures (davantage que les 6000 nécessaires) pour son initiative cantonale visant à empêcher l’instauration de ce qu’elle appelle une «formation étatique d’imams». Le Grand conseil fribourgeois devrait se prononcer sur la validité de ce texte dès 2016.

Un passé d’imam

«Nous n’avons pas l’intention de former des imams, rectifie Serdar Kurnaz, la voix posée. Les universités n’en ont pas la capacité, tout comme elles ne peuvent former des prêtres. C’est dans la pratique, confronté à la réalité des fidèles, que l’on acquiert ces compétences»

Il en sait quelque chose, lui qui a été imam, avant de se tourner vers la théologie. Né à Remscheid, vers Köln, en 1988, il a grandi dans une famille turque croyante. Entre l’âge de 7 et 13 ans, il suit un enseignement religieux à la mosquée. Le jeune homme décide plus tard de quitter ses habits de guide spirituel pour se consacrer à l’étude académique de la religion. Il pousse les portes de l’institut d’étude de théologie islamique de la Goethe Université de Francfort, l’un des premiers du genre en Allemagne.

«J’avais envie de savoir ce que dit l’université de ma religion. J’ai réalisé que ce que j’avais appris à la mosquée n’est pas l’unique réponse aux questions que se posent quotidiennement les musulmans en Allemagne. J’ai aussi corrigé de fausses croyances et appris à former ma propre réflexion sur l’islam».

«Les musulmans ont besoin de réponses»

C’est le cœur des affaires du CIS à Fribourg, qui ambitionne de proposer un programme doctoral en études islamo-théologiques. Il vise un public de jeunes musulmans suisses, qui souhaitent se questionner sur l’évolution de l’islam en Suisse. «Les musulmans, comme les juifs ou tout autre croyant d’une religion minoritaire ont besoin de réponses. Ils ne peuvent se baser pour cela sur un texte écrit il y a plus de mille ans», souligne Serdar Kurnaz.

La CIS propose aussi une formation continue pour des personnes en contact avec des musulmans dans leur profession: aumôniers, policiers ou personnel médical. Un premier séminaire autour du travail social a commencé cet automne. Parmi les vingt-cinq personnes inscrites figurent aussi des enseignants ou des responsables de bureaux d’intégration.

N’est-ce pas contradictoire, si l’on considère que les musulmans font partie de la société, de faire de l’islam une catégorie à part? «On peut croire au premier abord que l’existence d’un tel centre considère la présence de musulmans comme un problème. Mais l’objectif est bien de créer une plateforme de rencontre et d’apporter des réponses à des questions pratiques», répond Serdar Kurnaz.

Prescriptions alimentaires, voile à l’école, service d’aumônerie dans les hôpitaux, orientation des tombes dans les cimetières: ces questions reviennent régulièrement dans le débat public, elles ne peuvent être simplement ignorées.

Le professeur donne cet exemple: certains préceptes veulent que les musulmans ne mangent pas de viande si elle n’a pas été apprêtée selon des rites islamiques. Mais il existe une interprétation plus large, souligne-t-il: «tant que la viande n’a pas servi à une offrande pour une autre religion, on peut la manger».

Contrer la radicalisation

Les opposants au Centre Islam et société, eux, crient au danger du communautarisme: répondre aux demandes d’une minorité religieuse contribuerait à favoriser son évolution en vase clos. «C’est exactement le contraire, affirme Serdar Kurnaz. Nous visons à améliorer la compréhension de l’islam et éviter l’émergence d’une société parallèle».

L’islam est la deuxième religion en Suisse, après le christianisme. Les musulmans sont «la majorité de la minorité», souligne le jeune homme. L’expérience allemande, avec la mise sur pied de cursus de théologie islamique, a permis de «renforcer le sentiment d’appartenance des musulmans à la société allemande».

Le théologien va plus loin: il est convaincu que ce type de démarche peut servir à contrer les risques de radicalisation djihadistes, en proposant aux jeunes tentés par des postures fondamentalistes un discours alternatif sur leur religion. Dès le moi de mai, le CSIS ouvrira une nouvelle formation continue sur ce thème. Des imams et des experts interviendront face à un public d’éducateurs sociaux, de policiers ou de responsables d’associations musulmanes. Objectif: analyser les ressorts de la radicalisation pour mieux la prévenir. Car aux yeux de Serdar Kurnaz, la connaissance est la meilleure réponse à l’extrémisme.