Après Daniel Koch l’an dernier, un autre acteur central de la gestion de la pandémie prend sa retraite après avoir prolongé son mandat au-delà de son 65e anniversaire: Serge Gaillard. Directeur de l’Administration fédérale des finances (AFF) depuis 2012, cet Alémanique d’origine vaudoise aura été l’un des piliers des aides pour les «cas de rigueur». Sabine D’Amelio-Favez, bilingue d’origine vaudoise, lui succède dès lundi.

La carrière de Serge Gaillard est assez unique. Titulaire d’un doctorat en économie de l’Université de Zurich, il a été le premier secrétaire de l’Union syndicale suisse (USS) de 1998 à 2007. Durant cette période, il a siégé au Conseil de banque de la BNS et à la Commission de la concurrence.

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En 2007, la ministre de l’Economie Doris Leuthard l’a nommé à la tête de la Direction du travail au Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco). La désignation d’un syndicaliste à ce poste a semé un certain émoi dans les milieux patronaux. Cinq ans plus tard, Eveline Widmer-Schlumpf l’a appelé à ses côtés pour lui confier les rênes de l’AFF. A l’heure de tourner la page, il porte un dernier regard sur sa carrière et sur les conséquences de la pandémie.

Le Temps: Rêviez-vous de quitter l’AFF en laissant derrière vous une situation financière saine et équilibrée?

Serge Gaillard: Il n’en sera rien. Il y a encore une année, nous avions une situation financière exceptionnelle. Grâce à une application rigoureuse du frein à l’endettement, nous avons pu réduire la dette ces dix dernières années. L’assurance chômage a aussi pu rembourser ses dettes juste à temps. Nous utilisons aujourd’hui cette marge de manœuvre pour soutenir l’économie.

C’est-à-dire?

Depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, la Confédération n’a jamais soutenu l’économie, l’emploi et les revenus de la population de manière aussi déterminée qu’aujourd’hui. Nous l’avons fait par la prise en charge de la réduction de l’horaire de travail, les allocations pour perte de gain, les prêts covid et maintenant les cas de rigueur. Il en résulte un déficit d’environ 15 milliards pour l’année 2020 et on pourrait atteindre un montant identique cette année si l’on inclut les cas de rigueur et les mesures supplémentaires contre le chômage.

Combien de temps cette dette plombera-t-elle les finances de la Confédération?

C’est difficile à évaluer. On risque de se retrouver avec une dette semblable à celle que nous avions au moment de l’entrée en vigueur du frein à l’endettement en 2003. Si, après la crise du covid, nous appliquons le frein à l’endettement de la même manière que jusqu’à maintenant, son niveau s’abaissera chaque année un petit peu.

Des programmes d’économies seront-ils inévitables?

Il faudrait les éviter ces prochaines années. Le parlement ne veut d’ailleurs pas lier la réduction de la dette à des programmes d’économies, car ils compromettraient la relance économique. Et des hausses d’impôts dans le but d’assainir le budget fédéral ne sont pas à l’ordre du jour. Un relèvement de la TVA est déjà nécessaire pour financer l’AVS, et il faudra probablement augmenter les cotisations sociales pour le deuxième pilier. Selon nos plans financiers, la Confédération sera en mesure de financer les besoins publics ces prochaines années tout en libérant environ un milliard par an pour rembourser la dette, cela en utilisant les soldes de crédits annuels. Il appartiendra au Conseil fédéral et au parlement, lorsqu’ils connaîtront l’état de la dette à la fin de l’année, de décider s’il faut accélérer le désendettement.

Dans une vie antérieure, vous étiez syndicaliste. A cette époque, vous attendiez des collectivités publiques qu’elles soutiennent l’emploi et l’économie plus activement. Une fois arrivé aux commandes, qu’avez-vous entrepris pour les soutenir?

J’ai eu le privilège d’être impliqué dans des dossiers socio-économiques de première importance. Au Seco, je me suis engagé pour la mise en œuvre des mesures d’accompagnement et la révision de l’assurance chômage. Durant la crise covid, en étroite collaboration avec le Seco, l’AFF s’est beaucoup investie pour mettre au point les mesures de soutien économique.

Vous avez hérité des «cas de rigueur».

Oui. C’est le parlement qui a mis ce mécanisme au point. Il prévoit que les cantons préparent des programmes de soutien et que la Confédération y participe financièrement. La décision du Conseil fédéral de fermer les restaurants et de nombreux commerces nous a obligés à développer et à étoffer ce système et à en faire une contribution financière aux coûts fixes des entreprises. C’était devenu nécessaire. Le Conseil fédéral a décidé mercredi de doubler l’aide financière et de la porter à 5 milliards. Certains cantons ont commencé à faire des versements en janvier et quasiment tous s’y seront mis d’ici à fin février.

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Le chômage partiel a jusqu’à maintenant évité l’accroissement du chômage et la multiplication des faillites. Mais n’est-ce pas qu’un report dans le temps d’une crise économique et sociale profonde?

On ne sortira pas rapidement de la crise. Mais deux éléments me rendent optimiste. Premièrement, il y a une grande différence entre ce début d’année 2021 et le printemps 2020. L’an dernier, l’arrêt a été brutal et généralisé. Aujourd’hui, une grande partie de l’économie continue de fonctionner. Deuxièmement, nous avons vu l’été dernier que l’activité économique peut reprendre rapidement une fois les restrictions levées. Toutefois, certains secteurs auront besoin de temps pour relever la tête. Je pense à l’hôtellerie, à la branche du voyage et au trafic international. Aujourd’hui, pour permettre une reprise rapide, il faut vacciner largement afin de pouvoir lever le plus vite possible les restrictions économiques. Deux réflexions encore: la politique fiscale ne doit pas freiner ce redémarrage et la BNS doit veiller à ce que le franc ne soit pas trop cher.

Cette dernière année est-elle la plus difficile de votre carrière?

C’est l’une des plus intéressantes. Je considère que c’est un privilège de contribuer à la recherche de solutions pour atténuer la crise.

Qu’allez-vous faire à l’avenir?

Je ne sais pas encore. Nous passerons deux semaines de vacances en Valais. Et puis on verra pour la suite.