Sévère regard d’experts sur la dangerosité de Claude D.
Justice
Entendus au troisième jour du procès, les psychiatres maintiennent leurs divergences sur le degré de responsabilité du prévenu et la notion d’incurabilité à vie

C’était un moment clé du procès. L’audition des deux experts psychiatres autour de la question controversée d’une incurabilité définitive et donc d’un possible internement à vie du bourreau de Marie. D’un côté, le très expressif et agité Philippe Vuille. De l’autre, le beaucoup plus technique et imperturbable Lutz-Peter Hiersemenzel. Au final, tous deux brossent un très sombre tableau et ne voient pas quel traitement pourrait bien diminuer la dangerosité de Claude D., dont la personnalité souffre de troubles «exceptionnellement graves». Demeure un désaccord de principe sur la possibilité de poser un pronostic sur une durée infinie.
Un psychopathe intraitable
Les deux spécialistes sont entrés ensemble dans la salle d’audience mais ont été interrogés l’un après l’autre. Premier à passer sur le gril, Philippe Vuille, spécialiste privé installé à Neuchâtel, n’a pas modifié sa position. Selon son rapport, Claude D. est un dangereux psychopathe, doublé d’un sadique sexuel. Au moment du crime, il savait et voulait tout ce qu’il faisait. Sa responsabilité pénale est pleine et entière. Son risque de récidive est massif et les chances de pouvoir traiter son trouble gravissime sont pour toujours inexistantes.
Visiblement touché par les critiques dont ses conclusions font l’objet au sein d’une psychiatrie forensique plutôt hostile à ce genre de prévision sans limite, le Dr Vuille s’est beaucoup énervé. «J’ai l’impression qu’on fait mon procès», a-t-il déclaré. Non sans envoyer quelques piques à des confrères, experts ou thérapeutes, qui auraient mal motivé leur rapport ou trop vite discerné une minuscule lueur de progrès chez le prévenu. «Claude D. sait donner du pain aux psychiatres comme un enfant donne du pain aux cygnes. Avec ce type de personnalité, il faut s’en tenir à ce qu’ils font et pas à ce qu’ils disent».
Aucun sens moral
A la défense du prévenu, le Dr Vuille n’a rien concédé: «Claude D. est atteint d’un trouble de la personnalité dyssociale dont la caractéristique est une atrophie marquée du sens moral. Il est insensible aux conséquences négatives de ses actes pour les autres et pour lui-même. Il ne changera jamais. Penser qu’il puisse être traité, c’est prêter aux psychothérapeutes des compétences surnaturelles».
Tout en qualifiant l’internement à vie de «sottise», le spécialiste n’est pas d’accord avec ceux qui contestent la possibilité d’émettre un pronostic à vie en médecine. «On ne peut pas dire à un daltonien qu’il pourra un jour piloter un avion». La seule réserve inhérente au travail scientifique qu’il se dit prêt à admettre, c’est celle de pouvoir se tromper, comme tout le monde.
Des divergences
Autre est le ton du côté du Dr Hiersemenzel qui dirige désormais le service de psychiatrie forensique du canton de Soleure avec son établissement pour l’exécution des mesures. S’exprimant en allemand, avec le concours d’une traductrice, ce second expert a brossé un portrait tout aussi inquiétant du prévenu. Un manipulateur hors pair, un narcissique absolu, un insensible total, un être porté sur la domination et la destruction. «Il n’ a presque aucun trait sain de la personnalité», relève le psychiatre.
Son diagnostic diffère du Dr Vuille car il retient un trouble mixte. Il estime surtout que l’intensité de ce désordre de la personnalité est telle que Claude D. n’avait pas totalement la faculté de se contrôler au moment d’agir. Sa responsabilité doit donc être considérée comme moyennement diminuée. Cette conclusion, si d’aventure elle est retenue par les juges, n’est pas sans importance sur la peine qui sera prononcée. Le spécialiste soleurois ajoute que Claude D. n’a aucunement pris conscience de ses problèmes. «C’est aussi pour cela qu’il est dangereux».
Incertitudes
Pour le Dr Hiersemenzel, le risque de récidive est très élevé et le prévenu totalement inaccessible à un traitement. «Il ne l’est pas actuellement mais je ne suis pas en mesure de me prononcer sur un avenir lointain. Les pronostics ne sont que des probabilités et plus on regarde loin, moins on a de certitudes. Normalement, le travail se fait sur un horizon de 5 à 10 ans». Ce qui n’est pas assez pour satisfaire à la jurisprudence du Tribunal fédéral qui place la barre bien plus haut pour un internement à vie.
Paradoxalement, cette retenue de principe n’empêche pas l’expert soleurois de prédire dans ce cas le pire pour très longtemps. Ainsi, il ne peut pas imaginer qu’un pronostic favorable soit posé un jour dans le cas de Claude D., même si un nouveau traitement est mis au point, même s’il y adhère et même si son état s’améliore. En substance, dit-il, le prévenu n’atteindra jamais un niveau permettant de conclure à un risque raisonnable. Notamment en raison des crimes déjà commis qui resteront des facteurs à charge pesant très lourd dans la balance de l’évaluation.
Aux juges désormais de se débrouiller avec ces subtilités.