L’idée a surgi au bout du monde, lors d’un stage à l’hôpital de Garoua, au nord du Cameroun, par une chaleur étouffante de plus de 40 degrés. Pourquoi ne pas faire un livre de synthèse sur le système de santé suisse? A ce moment-là, Simon Regard achève ses études de médecine. Publiée en 2012, la première édition de La santé en Suisse*, illustrée par feu Mix & Remix, s’est déjà écoulée à 10 000 exemplaires. Aujourd’hui, le médecin urgentiste genevois (36 ans) en signe une deuxième édition, entièrement mise à jour.

Le système de santé suisse est une usine à gaz qui génère des coûts pour 78 milliards de francs par an. Il est difficile à réformer car tous ses acteurs – les assureurs, l’industrie pharmaceutique, les hôpitaux, les médecins, sans oublier les cantons et la Confédération – défendent farouchement leurs intérêts à Berne. «Dans ce domaine, l’information est soit fragmentée, soit orientée selon les liens d’intérêts. J’ai donc voulu offrir des données factuelles aux lecteurs. A eux ensuite de se forger leur propre opinion», explique Simon Regard.

Dans ce domaine, l’information est soit fragmentée, soit orientée selon les liens d’intérêts.

Dans son livre, le médecin vulgarise, mais ne s’engage pas. Il n’en pense pas moins. «Le système de santé suisse est bon, mais il coûte trop cher», estime-t-il. Soit: une certaine hausse des coûts est inévitable. Tout le monde est content de voir ses parents et grands-parents vivre plus longtemps et plus heureux. «Mais c’est la rapidité de cette hausse, soit 4% par an, qui pose problème. Les coûts de la santé représentent désormais 12,4% du PIB, c’est beaucoup.»

Des indicateurs inquiétants

Certes, les optimistes indécrottables mettront toujours en exergue la vitalité d’un secteur en pleine croissance. Mais de nombreux indicateurs font craindre le pire, surtout depuis que la Société suisse de médecine a évalué à 20% le nombre d’interventions superflues.

D’autres chiffres inquiètent. Dans les pays de l’OCDE, 10% des patients renoncent à consulter pour des raisons financières. En Suisse, ce taux grimpe à 21%. «C’est un signal alarmant, d’autant plus qu’il y a déjà 30% d’assurés qui reçoivent un soutien de l’Etat pour payer leurs primes.»

De plus, la Suisse ne consacre que 2,4% de ses dépenses dans la prévention. «Un investissement dérisoire qui personnellement m’indigne», avoue Simon Regard. En 2012, le parlement a enterré une loi sur la prévention, qui aurait conféré plus de moyens à l’association Promotion Santé Suisse. La faute à de puissants lobbies qui sont très écoutés par les membres des commissions de la santé des deux Chambres. «Il faudrait leur interdire tout mandat rétribué», suggère-t-il.

Pour une médecine éthique et durable

Alors, docteur, c’est grave? L’urgentiste qu’est aussi Simon Regard sourit. Les premiers soins ne suffiront pas. Un changement de paradigme s’impose. Jusqu’à présent, la loi sur l’assurance maladie a toujours parlé «d’économicité, d’adéquation et d’efficacité des soins». Le Genevois indique une autre direction. «Il faut s’orienter sur les trois E: l’économie, l’évidence et l’éthique. Il s’agit désormais de justifier une intervention en incorporant les aspects éthiques dans le cadre d’une médecine durable», souligne-t-il.

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La médecine «maximale» doit faire place à une médecine «optimale». Aux Etats-Unis est né le concept d’une médecine plus sage, plus intelligente (smarter medicine). Lentement, il fait école aussi en Suisse, où les sociétés médicales ont commencé à faire des listes d’interventions superflues, comme une radiographie du thorax avant toute opération. «Je suis un partisan de cette médecine, à condition qu’elle soit dictée par un souci de qualité dans l’intérêt du patient. Si on la pratique dans une optique de réduction des coûts, on entre dans une logique de rationnement que je ne cautionne pas.»

En Suisse, tous ceux – qu’ils soient de gauche ou de droite – qui ont tenté des réformes radicales ont échoué. Le peuple a balayé les réseaux de soins, la suppression du libre choix du médecin et la prime d’assurance calculée en fonction du revenu. Le Conseil fédéral a donc mandaté un panel d’experts qui a accouché d’un rapport formulant 38 propositions. De l’avis général, la plus intéressante est l’introduction d’un «article expérimental» favorisant des projets pilotes innovants sans devoir réviser la loi.

L’espoir de l’article expérimental

A ce sujet, Simon Regard cite deux pistes: d’une part, la promotion d’un dialogue entre pairs chez les professionnels afin d’éliminer les mauvaises pratiques. D’autre part, l’expérimentation d’un système de rétribution des médecins non plus basé sur l’acte, mais sur sa valeur en fonction de son utilité. «C’est hypothétique et difficile à réaliser», convient-il. Mais c’est la direction à prendre.

Faire mieux avec moins d’argent: ce qui pourrait claquer comme le slogan d’un grand argentier hanté par les programmes d’austérité prend un tout autre sens chez Simon Regard, qui a passé près d’un an en Afrique durant ses divers stages. Un jour qu’il s’étonnait de l’absence du moindre défibrillateur dans un hôpital de district au Ghana, le directeur de celui-ci lui a répondu: «Je dois soigner toute la communauté, pas un seul individu.» A méditer dans un pays surdoté en équipements de pointe.


*«La Santé en Suisse», par Simon Regard, aux Editions Loisirs et Pédagogie