La bataille qui ébranle le marché mondial de l’art depuis des mois vient de connaître un tournant majeur. La Cour d’appel de Singapour a ordonné le déblocage de la fortune d’Yves Bouvier, patron de l’entreprise genevoise de transport d’œuvres d’art Natural Lecoultre.

Ces avoirs représentent près d’un milliard de dollars, selon le journal singapourien Straits Times, qui a révélé la décision. Ils étaient gelés sur la base d’une injonction lancée par l’oligarque Dmitri Rybolovlev. Ce richissime homme d’affaires russe, basé à Monaco, accuse Yves Bouvier de lui avoir vendu des tableaux surfacturés. Et d’avoir encaissé indûment des plus-values se chiffrant en centaines de millions de francs.

La décision de Singapour représente «un retour de bâton cinglant, une très sévère critique des méthodes utilisées par M. Rybolovlev sur le plan judiciaire», réagit David Bitton, l’avocat genevois d’Yves Bouvier.

L’injonction dite Mareva, utilisée pour geler ses avoirs à Singapour, où le transporteur d’art réside, est « l’arme procédurale nucléaire lorsqu’elle est employée, commente son avocat. C’est très paralysant. Grâce à cette décision, Yves Bouvier retrouve une complète liberté sur tout son patrimoine.» Et la possibilité de relancer ses activités (ports-francs, transport d’art), sérieusement entravées par son bras de fer avec Dmitri Rybolovlev.

Yves Bouvier devra encore faire face à la justice

De son côté, l’avocate du Russe, Tetiana Bersheda, a réagi par un bref communiqué. «Nous prenons note de la décision des autorités judiciaires singapouriennes», écrit-elle en précisant que celle-ci «n’obère pas […] le travail des enquêteurs et juges d’instruction français et monégasques auxquels l’intéressé devra répondre des graves accusations qui pèsent sur lui […]». Yves Bouvier reste mis en examen à Monaco pour «escroquerie» et «complicité de blanchiment».

Mais le contenu de la décision singapourienne représente un soulagement majeur pour le Genevois. Car elle contient des appréciations qui viennent appuyer sa défense sur le fond du litige.

Selon nos informations, la cour d’appel a reconnu qu’Yves Bouvier n’avait pas fait usage de structures fictives ou de transactions trompeuses dans ses affaires avec l’oligarque. Les sociétés par lesquelles Dmitri Rybolovlev achetait ses tableaux – une collection aujourd’hui évaluée à quelques deux milliards de dollars – savaient qu’Yves Bouvier réalisait un profit sur les transactions. Elles payaient les œuvres au prix qu’elles avaient marchandé et qu’elles étaient d’accord de verser, a estimé la cour.

Pression et volonté de destruction

Le fait que la commission du Genevois aurait dû se limiter aux frais de 2% qu’il facturait par ailleurs n’est pas crédible aux yeux des juges singapouriens, puisque les commissions usuelles sur le marché de l’art atteignent facilement 20% pour les maisons de vente aux enchères.

Enfin, la cour singapourienne considère que l’injonction Mareva, lancée pour bloquer les avoirs d’Yves Bouvier dans la cité-Etat, a été utilisée non pour empêcher la dissimulation de ses avoirs – son but proclamé –, mais afin de faire pression sur lui, voire de le détruire économiquement.

«L’injonction était le produit de la frustration éprouvée par M. Rybolovlev de ne pas avoir pu incarcérer Yves Bouvier à Monaco», où il n’a fait que quatre jours de garde à vue, commente David Bitton. «Les juges n’ont pas voulu prêter main-forte à cette démarche-là.»

Outre l’enquête qui se poursuit à Monaco, une ordonnance civile de blocage reste en vigueur à Hong-Kong. Mais sa portée est, selon l’avocat d’Yves Bouvier, «très périphérique».