Les socialistes en quête d’alliés pour leur initiative sur le financement des campagnes
Élections fédérales
Président du Parti socialiste suisse et candidat au Conseil des États, Christian Levrat s’explique sur l’initiative populaire en préparation, qui demandera aux partis et aux candidats aux Chambres de publier leurs comptes et la liste des donateurs qui versent plus de 10 000 francs

Trois cent mille francs pour certains candidats et une somme se rapprochant sans doute du million pour d’autres. Qualifiée de «combat des titans» par la presse alémanique, la campagne au Conseil des États dans le canton de Zürich pourrait également devenir celle des superlatifs financiers. En Suisse romande, les budgets de campagne grimpent jusqu’à 120 000 francs, selon une récente enquête du Temps.
À dix jours des élections fédérales, un pronostic revient de manière récurrente dans la bouche des analystes: dans son ensemble, la campagne 2015 pourrait être la plus onéreuse jamais connue en Suisse. «J’estime qu’on arrivera probablement à un montant global de 100 millions. Ce sont des dépenses par habitant identiques à celles des États-Unis: il y a un problème de proportion», commente Christian Levrat, président du Parti socialiste suisse (PSS) et candidat fribourgeois au Conseil des États.
La Suisse critiquée
Avec de telles sommes en jeu et l’opacité qui règne sur la provenance des dons importants, l’opinion publique pourrait montrer des signes d’agacement. Tablant sur cette évolution et sur les pressions envers la Suisse du Groupe d’États contre la corruption (Greco) du Conseil de l’Europe, le PSS envisage de lancer une initiative populaire sur la transparence du financement des partis politiques et des campagnes, comme l’a révélé dimanche le SonntagsBlick. Le Temps a pu en consulter le texte, déposé pour examen auprès de la Chancellerie fédérale.
Il demande que les partis représentés aux Chambres déposent chaque année leurs comptes auprès de la Chancellerie et annoncent les dons reçus de la part de personnes physiques ou morales d’une valeur supérieure à 10 000 francs par an et par personne. Deuxième point: les partis et les candidats qui dépensent plus de 100 000 francs pour une campagne de votation fédérale ou un siège à Berne devraient aussi déclarer la provenance des fonds et des dons de plus de 10 000 francs. Ensuite, les contributions anonymes seraient interdites. Et la Chancellerie publierait ces informations au moins dix jours avant la votation ou l’élection. La question des garde-fous et des sanctions serait réglée dans une loi d’application.
«Il n’y a pas de soutien financier important sans contrepartie»
«Au Parlement, on a tout essayé avec 19 propositions rejetées depuis 2001. On ne peut plus se permettre de perdre encore 20 fois de suite, il faut agir autrement», explique Christian Levrat. «Nous sommes la seule démocratie moderne sans règles sur l’origine des fonds, la situation est insatisfaisante. Les partis et les candidats doivent rendre compte de leurs soutiens les plus importants. Il m’importe peu de savoir si mon voisin donne 100 francs à l’UDC ou à un autre parti, ce n’est pas déterminant pour le fonctionnement de la démocratie. En revanche, si une personnalité, une entreprise ou une association investit des dizaines de milliers de francs dans une campagne, les citoyens ont le droit de le savoir. Car si j’ai tiré une leçon de mes années au parlement, c’est qu’il n’y a pas de soutien financier important sans contrepartie par la suite», assène le sénateur.
À Zürich, les regards se tournent vers le candidat UDC au Conseil des États, Hans-Ueli Vogt. C’est sa campagne qui s’approcherait du million. Celle du PLR Ruedi Noser dépasserait les 350 000 francs, tandis que celle de Daniel Jositsch se monte à 300 000 francs. Le professeur de droit pénal et conseiller national socialiste ne fait pas mystère de ses comptes. Dans la colonne des recettes, les dons privés représentent 76 000 francs, avec un montant de 10 000 francs, un de 5000 et un grand nombre de dons inférieurs à 500 francs. Les dons d’organisations représentent 104 700 francs: la Société des employés de commerce, que préside Daniel Jositsch, a versé 30 000 francs; Polyreg, un organisme de surveillance et de contrôle envers les intermédiaires financiers, 30 000 également; le PS cantonal donne 88 000 francs; une section locale 42 000 francs; le candidat verse 30 000 francs de sa poche.
Texte trop minimaliste?
La décision de lancer cette initiative doit encore être validée en assemblée des délégués. La discussion sera animée. D’une part sur l’opportunité de lancer un tel texte et le risque de le voir balayer en votation au nom de la défense de la sphère privée et de la protection des données, argument défendu par les partis de droite qui a convaincu jusqu’à présent. Autre enjeu: le texte tel que proposé est-il trop prudent? Certains souhaiteraient placer la barre plus haut, exigeant par exemple un plafonnement des dépenses de campagne.
Mais la direction du PSS préfère avancer à pas comptés. Notamment pour pouvoir «créer une large coalition avec des ONG, d’autres partis, des dissidents de droite», commente Christian Levrat. «Aujourd’hui, à droite, ceux qui jouent le jeu de la transparence sont plus montrés du doigt que ceux qui ne disent rien, cela ne va pas qu’ils soient ainsi stigmatisés», complète Géraldine Savary, candidate aux États dans le canton de Vaud. Qui constate, en Suisse romande aussi, une inflation des dépenses au fil des campagnes.