Face aux deux leaders de la télémédecine en Suisse que sont Medgate et Medi24, voici qu’arrive le Petit Poucet romand: Soignez-moi.ch. Depuis quelques semaines, une dizaine de médecins travaillent sur cette plateforme totalement numérique pour les soins de premier recours en s’appuyant sur le soutien de 150 pharmacies partenaires. Ils visent un quinzième du marché suisse en dispensant quelque 100 000 consultations par an, de manière à atteindre une rentabilité d’ici trois ans sur un chiffre d’affaires d’environ 4 millions.

Sandra, une jeune femme de 22 ans, vient de passer une très mauvaise nuit en ce mois de décembre. Elle présente des signes d’infection urinaire. Tôt le matin, elle ne parvient pas à joindre son médecin de famille. Elle se décide alors à remplir le questionnaire de Soignez-moi.ch. Moins d’une heure plus tard, un médecin la contacte et lui adresse une ordonnance électronique sécurisée via la plateforme. Deux jours plus tard, il la rappelle pour s’assurer que son état de santé s’est amélioré ou alors pour adapter le traitement si nécessaire.

Lire aussi: Assurance cherche rapport médical express contre rémunération attractive

Une consultation pour 39 francs

En l’occurrence, ce médecin, c’est Daniel Fishman, un grand spécialiste de la médecine d’urgence, qu’il a pratiquée au CHUV, à l’hôpital de Sion puis à celui de Riviera-Chablais. Travaillant aujourd’hui à Bulle, il assume aussi à temps partiel le rôle de directeur médical de Soignez-moi.ch. «Nous sommes là pour donner un accès facilité aux soins et pour contribuer à juguler la hausse des coûts de la santé», résume-t-il.

Effectivement, la consultation n’a coûté que 39 francs à Sandra, qui pourra se la faire rembourser par sa caisse maladie. En comparaison, elle aurait coûté plus de 100 francs chez un généraliste, et probablement encore deux fois plus aux urgences d’un hôpital.

La télémédecine, ce n’est rien de nouveau. Ce sont les assureurs qui l’ont développée depuis une vingtaine d’années dans le but de diminuer le nombre de cas de «bobologie» pouvant se régler sans une visite chez le médecin. Pour inciter leurs clients à y recourir, elles offrent des rabais sur leurs primes pouvant atteindre au maximum 20%. «Souvent les patients qui la sollicitent ont uniquement besoin de conseils pour être rassurés: l’expérience montre que 50% des cas peuvent être réglés par téléphone», relève Christophe Kaempf, porte-parole de l’association faîtière Santésuisse.

Une plateforme indépendante des assureurs

En Suisse, Medgate domine désormais largement le marché. Elle a son siège à Bâle et emploie plus de 300 personnes, dont 100 médecins qui répondent à toute heure depuis la Suisse ou l’étranger. De son côté, Medi24 opère à Berne avec quelque 20 médecins et une centaine d’infirmières et d’infirmiers.

Lire aussi: Subsides aux primes maladie: le combat des cantons romands

Aujourd’hui, toutes les caisses proposent une offre de télémédecine sous une forme ou une autre. Face à elles, les responsables de Soignez-moi.ch – le directeur opérationnel Romain Boichat, la directrice générale Carole Matzinger et Daniel Fishman – ont décidé de jouer une autre carte: celle de l’indépendance. «Il est important que la relation essentielle reste celle du médecin et de son patient. L’assurance doit se contenter de financer la prestation, et non pas la contrôler», souligne Carole Matzinger.

Autre différence: la nouvelle plateforme n’a pas la vocation de faire du tri de patients («gatekeeping») et n’est donc pas un passage obligé pour se rendre chez le médecin. Elle se veut complémentaire aux structures existantes. A cet effet, tous les protocoles de tri sont ouverts et peuvent être consultés par tout médecin qui le désire pour garantir la transparence. Ce qui ne veut pas du tout dire que les données vont partir aux quatre coins de la planète. Au contraire: la plateforme est la première à être certifiée selon l’Ordonnance sur la protection des données (OCPD). Celles-ci sont stockées uniquement dans des centres sécurisés situés en Suisse.

Lire aussi: Coûts de la santé: les recettes des candidats aux élections fédérales

Une réponse partielle à la pénurie de médecins

A ce stade, nul ne peut dire dans quelle mesure la télémédecine permettra de freiner les coûts de la santé. En revanche, il est sûr qu’elle contribuera à amortir le choc de la pénurie de médecins généralistes. Actuellement, on dénombre près de 20 millions de consultations de médecine générale par an en Suisse. Or, on sait déjà que 60% des généralistes prendront leur retraite dans les dix prochaines années. «Il va manquer quelque 12 millions de consultations à l’horizon 2030, s’émeut Romain Boichat. En fournissant une anamnèse structurée au médecin, nous optimisons son temps de travail et pouvons être une réponse partielle à la solution de ce problème.»

Lire enfin: Les caisses traquent les «médecins hors normes»

Jusqu’à présent, les premiers utilisateurs de la plateforme s’en déclarent très satisfaits. «Personne n’a été déçu de notre service, qui est à la fois simple, rapide et complet grâce au suivi que nous assurons dans les deux à trois jours», se réjouit Carole Matzinger. Jusqu’ici, Soignez-moi.ch n’est présent qu’en Suisse romande, mais il ambitionne de couvrir toute la Suisse. Peu à peu, la plateforme sera disponible en huit langues pour devenir accessible aux allophones, qui sont souvent les premiers à renoncer aux soins en raison de leurs coûts.