C’est une pièce maîtresse dans l’épineux dossier hospitalier neuchâtelois. Après un large processus participatif interne, qui a impliqué une centaine de cadres, l’Hôpital neuchâtelois livre ce mercredi au Conseil d’Etat et aux institutions neuchâteloises sa vision stratégique.

Le statu quo et le pourtant sacro-saint principe de l’équilibre des missions entre les hôpitaux de Neuchâtel et de La Chaux-de-Fonds sont battus en brèche. Seule la centralisation est envisageable, afin d’assurer la sécurité, la qualité et l’économicité des soins, dans un monde hospitalier toujours plus concurrentiel où le recrutement du personnel soignant est problématique.

La formule retenue par l’HNE: les soins aigus, les dispositifs techniques et la maternité à Pourtalès à Neuchâtel; la réadaptation dans les Montagnes, dans un nouvel hôpital à construire, histoire de donner du relief au projet; et le maintien d’une petite polyclinique au Val-de-Travers.

Il s’agit là d’une proposition faite par l’HNE, qui s’exprime encore sur les relations avec les hôpitaux privés ou les questions de gouvernance, propositions faites aux autorités politiques. Le projet HNE devra être notamment évalué par le groupe de travail mis sur pied par le ministre Laurent Kurth.

En parallèle, ce qui démontre la bonne entente désormais entre la direction de l’HNE et le gouvernement, le Conseil d’Etat demande au Grand Conseil de déconstruire le plan en 17 options pourtant validé par le peuple en novembre 2013 et, dans l’immédiat, de fermer les blocs opératoires la nuit et le week-end à La Chaux-de-Fonds, de centraliser les soins intensifs à Neuchâtel et de fermer les petites policliniques décentralisées.

La présidente du conseil d’administration de l’HNE, la Genevoise Pauline de Vos Bolay, explique au «Temps» pourquoi la réforme proposée est nécessaire.

Le Temps: Serpent de mer, objet de conflits politiques et régionaux, l’organisation hospitalière neuchâteloise vit-elle, en ce premier semestre 2015, un tournant vital?

Pauline de Vos Bolay: C’est un tournant fondamental. Parce que tant le Conseil d’Etat que le conseil d’administration de l’HNE ont fait le choix de la transparence. Contrairement au passé, nous posons les problèmes sur la table et nous proposons des solutions. C’est aussi un tournant parce que le projet que nous présentons est le fruit d’un travail réalisé par une centaine de cadres de l’établissement. Je suis persuadée qu’un hôpital ne se réforme que de l’intérieur, ce n’est pas possible par diktat. Nous produisons une analyse et un projet qui additionne les intelligences internes de l’HNE.

– Votre analyse est définitive: le plan voté par le peuple en novembre 2013, qui prévoit un équilibre des missions entre La Chaux-de-Fonds et Neuchâtel, n’est pas réalisable. Pourquoi?

– Le vote populaire de 2013 était basé sur un postulat d’équilibre des régions. Malheureusement, ce postulat ne tient pas dans l’organisation d’un hôpital. A l’exemple des soins intensifs, emblématiques du souhait d’avoir deux structures identiques sur les sites de Neuchâtel et La Chaux-de-Fonds, les contraintes actuelles sont telles que ce n’est plus possible. Ces contraintes n’ont rien à voir avec les régions, mais elles sont imposées par le système de financement fédéral et les problèmes de recrutement du personnel médical. Par contre, il est raisonnable de réaliser le postulat consistant à offrir à toutes les régions une sécurité sanitaire correcte.

– Les soins aigus à Pourtalès, la réadaptation à La Chaux-de-Fonds, une petite policlinique au Val-de-Travers, cela paraît si simple…

– Une bonne stratégie doit être simple, compréhensible et claire.

Realpolitik

– Pourquoi ne pas proposer une formule encore plus simple, soit un seul site hospitalier pour tout le canton?

– Intellectuellement, nous persistons à croire que c’est ce qu’il faudra faire, à terme. Mais il y a la realpolitik: nous avons à Neuchâtel le bâtiment de Pourtalès quasi neuf, qu’il faut amortir encore durant près d’un quart de siècle; à La Chaux-de-Fonds, nous avons à l’inverse un bâtiment vétuste. Voilà pourquoi nous nous rallions à la formule acceptable des soins aigus à un endroit et la réadaptation à un autre. La réadaptation et les suites de traitement dans les maladies chroniques sont l’avenir de la médecine, avec une population vieillissante. Or la réadaptation est souvent éclatée. Créer un véritable centre de réadaptation, lié à la contrainte fédérale de constituer des filières, est une superbe opportunité.

– D’aucuns estiment la centralisation des soins aigus à Neuchâtel utopique: pas assez de place, extension de Pourtalès jugée «impossible», accessibilité difficile en milieu urbain, voisinage inapproprié avec un stade de football. Comment justifier ce choix?

– Pourtalès, dans sa configuration actuelle, a une capacité maximale de 250 lits. L’hôpital universitaire de Stockholm dessert un bassin de population d’un million d’habitants avec 300 lits et envoie ensuite des patients en réadaptation dans d’autres centres. Ici, si on se réorganise correctement, les 250 lits vont suffire. Et je dispose d’études qui montrent des possibilités d’extension, au nord par exemple. Nous devrons aussi nous demander s’il ferait sens de créer un centre pour les traitements ambulatoires, accolé à l’hôpital, avec une entrée spécifique. Nous l’étudierons dès que nous aurons un feu vert, à tout le moins orange, pour notre projet.

La question de l’accessibilité est justifiée. Nous devrons nous demander s’il faut réaliser un parking. Moyennant des aménagements et à condition de revoir nos modalités de prise en charge des patients, notre modèle de concentration des soins aigus est jouable dans l’actuelle infrastructure de Pourtalès.

Pour éviter la fuite des patients

– Pourquoi Neuchâtel, et pas La Chaux-de-Fonds, pour les soins aigus?

– Le choix de Neuchâtel n’est pas prioritairement lié au bâtiment, mais à la fuite potentielle des patients. Localiser le site de soins aigus dans les Montagne alors que 70% de la population neuchâteloise est orientée vers le Littoral, c’est risquer de voir des patients opter pour Yverdon ou Bienne. Les Neuchâtelois sont déjà 1500 par an à choisir un hôpital hors canton par convenance personnelle. Le choix de Neuchâtel se justifie également par la proximité entre hôpitaux universitaires et non universitaires, en l’occurrence du CHUV et de l’Ile à Berne.

– N’entendez-vous pas les Montagnes qui réclament, via une initiative populaire, la reconstitution d’une maternité dans le Haut?

– Evidemment que je les entends. J’ai bon espoir que les gens des Montagnes nous entendront aussi. Je peux comprendre l’enjeu émotionnel d’une partie du canton qui se sent défavorisée et le fait que l’hôpital soit un révélateur. Les paramètres hospitaliers ne permettent plus de faire de la politique régionale. Et croyez-moi, un CTR, c’est bel et bien un hôpital. Et les urgences y seront conservées, 24 heures sur 24, ainsi qu’une policlinique d’envergure ou encore des lits d’observation.

– Que répondre aux Chaux-de-Fonniers qui veulent leur hôpital généraliste et qui prennent en exemple l’hôpital du Jura que vous présidez aussi, ou celui, voisin, de Saint-Imier, qui s’en sort plutôt bien?

– Les deux hôpitaux cités en exemple sont de petites structures qui ne fournissent pas l’ensemble des prestations et qui fonctionnent avec des partenariats. L’hôpital du Jura, que je préside depuis deux ans et demi, vient justement de concentrer les soins aigus à Delémont et la réadaptation à Porrentruy, et travaille avec l’hôpital universitaire de Bâle, et c’est très bien ainsi. L’hôpital de Saint-Imier, qu’on prend en exemple pour sa maternité, n’a pas de soins intensifs. Notre projet place en haut des objectifs la sécurité des soins. Proximité ne rime pas forcément avec qualité et sécurité.

– Construire un nouvel hôpital dans les Montagnes, est-ce votre argument massue pour convaincre dans le Haut? Est-ce raisonnable, quand on sait que l’HNE est surendetté et ne couvre pas ses coûts?

– Le crédit de construction de l’hôpital de réadaptation Felix Platter à Bâle est devisé à 150 millions pour 180 lits. C’est l’ordre de grandeur du projet chaux-de-fonnier. Pourquoi construire plutôt que rénover l’actuel hôpital? La rénovation coûterait une centaine de millions pour un bâtiment des années 1960, rigide, où il n’est pas possible de mettre des sanitaires dans les chambres. Il ne faut pas considérer le projet de construction comme un argument massue, mais il donne du corps à nos ambitions. Si on croit à l’avenir de la réadaptation, autant se donner les moyens d’en faire un beau projet. Bien sûr que la situation financière actuelle de l’Hôpital neuchâtelois n’est pas favorable, mais nous sommes en train de remonter la pente.

– Qui financera l’hypothétique nouvel hôpital dans les Montagnes?

Selon la LAMal, encore qu’il règne un certain flou concernant la réadaptation, les investissements sont de la responsabilité des établissements hospitaliers. On peut envisager plusieurs sources: un investissement propre de l’HNE, louer un bâtiment, faire du leasing ou du public-privé. Aucune décision n’a été prise concernant la localisation. Tout est ouvert, ce peut être au centre d’une ville ou en périphérie. Il faut que l’accessibilité soit de qualité.

– La réorganisation spatiale préconisée suffira-t-elle à rendre l’HNE efficient économiquement?

– J’en suis convaincue. Nous devons de toute façon opérer une analyse d’efficience interne. Dans les comparaisons, l’HNE est parmi les hôpitaux les plus coûteux. Ensuite, en rassemblant des équipes dans des lieux concentrés, cela génère indubitablement des économies d’échelle. Sans compter une hausse de la qualité. La part de l’Etat sera du coup réduite elle aussi. Les chiffres précis dépendront du modèle qui sera finalement retenu.

– Votre rapport évoque aussi, en filigrane, la gouvernance. Défavorable à Neuchâtel, avec un pouvoir politique, parlementaire notamment, qui interfère dans l’opérationnel. Faut-il dessaisir le politique de la stratégie hospitalière?

– Il faut plus d’autonomie de gestion dans un hôpital. Sans pour autant brimer le débat politique et démocratique. Il faut seulement remettre les choses à leur juste place. Les questions opérationnelles et d’organisation interne à l’hôpital, comme la localisation des disciplines, ne devraient pas être une prérogative politique. Il est toutefois important d’avoir de bonnes relations avec l’autorité politique. J’ai la chance de travailler avec un conseiller d’Etat remarquable, Laurent Kurth. Nous sommes très complémentaires dans la construction du projet hospitalier. La communication à l’adresse des autres partenaires et la pédagogie sont décisives dans un tel processus de réforme.