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Splendeurs et tragédies au féminin, destins de Valaisannes au fil des siècles

Pour fêter ses dix ans, le Bureau de l'égalité répertorie, du XVIIIe siècle à nos jours, quelques destins emblématiques: femmes enceintes torturées, filles mères héroïques, infanticides tragiques, humbles paysannes, femmes d'influence ou pionnières de la cause

«Partout où les femmes commandent, les choses ne peuvent jamais bien aller.» Il sait de quoi il parle, l'officier Pierre-Emmanuel de Rivaz, qui se verra empêché de reprendre en 1762 la charge de châtelain de Saint-Gingolph – qu'avaient exercée avant lui son père et son grand-père – par le seul pouvoir d'une forte femme, Marie-Julienne de Nucé, sa propre tante. Cette veuve opiniâtre intriguera et usera de son réseau d'influences pour imposer comme châtelain son propre fils Charles-Emmanuel, écartant au passage toutes les autres familles concurrentes. Marie-Julienne de Nucé ouvre une galerie de portraits – Valaisannes d'hier et d'aujourd'hui* – rassemblés dans un livre par l'historienne Marie-France Vouilloz Burnier et Barbara Guntern Anthamatten, ancienne responsable du Bureau valaisan de l'égalité, pour fêter les dix ans de cette institution.

Voici par exemple Marie-Angélique Carron (1762-1836), paysanne d'Entremont, orpheline qui défendra victorieusement son honneur menacé devant les tribunaux civils et religieux. Alors qu'elle n'est pas encore mariée, Marie-Angélique tombe enceinte, se confesse au curé et révèle le nom du père, Pierre-François Maret, un mercenaire de Bruson. Celui-ci produit une dizaine de témoins devant le notaire qui représente l'évêque de Sion, responsable des délits contre la morale. Des témoignages qui dépeignent Marie-Angélique comme une prostituée: «Joseph ayant présenté à la dite fille une paire de souliers pour la fornication et qu'elle lui dit qu'elle ne voulait pas se laisser remplir le ventre pour une paire de souliers mais qu'elle lui demanda un louis.» C'est le curé de Bagnes qui fera pencher la balance en révélant, dans une lettre à l'évêque de Sion, que Maret était venu chez lui pour s'informer des moyens d'éviter la reconnaissance de paternité, et pour le menacer, s'il inscrivait l'enfant sous son nom. L'évêque attribue la paternité de l'enfant à Maret, le condamne aux frais de procédure et aux frais de couches, ainsi qu'à l'amende pour délit de fornication.

La Viégeoise Anna-Maria Christen, née en 1778, aura moins de chance: fille mère elle aussi, elle trouve néanmoins un prétendant, un certain Holzer, qui accepte de l'épouser, mais sans l'enfant. Or, lors d'une journée de travail aux champs, l'enfant tombe dans un ruisseau et se noie. La rumeur, puis la justice accusent Anna-Maria d'avoir volontairement noyé son enfant pour pouvoir épouser Holzer. Elle sera décapitée le 1er juin 1824 à Viège.

Outre les figures humbles mais emblématiques, telle Rosalie, paysanne d'Hérémence, ou plus historiques – Gabrielle Nanchen, première Valaisanne à entrer au Conseil national, Renée de Sepibus, pionnière du suffrage féminin en Valais, ou celles encore qui ont œuvré à la création du Bureau de l'égalité –, la partie la plus saisissante de l'ouvrage est celle qui traite de l'accouchement. Au début du XIXe siècle, le Valais ouvre des cours pour sages-femmes, à Sion. Une décision qui suscite quelques résistances, celle par exemple de Jean Devantéry, président du dizain de Monthey, qui rappelle le temps heureux où les femmes «étaient obligées de faire le travail d'hommes et de femmes, se donnaient beaucoup de mouvement, ce qui rendait les accouchements très faciles, au lieu qu'à présent en ne faisant plus rien et en buvant force liqueurs spiritueuses et du café, elles engourdissent et dérangent les organes de la génération. Il serait donc plus à propos de solliciter une loi qui remédiât à cet abus et on verrait qu'elles accoucheraient en chantant.»

Et puis il y a les dégâts provoqués par les charlatans. Voici par exemple comment l'avocat Jean-Louis Colomb, de Vouvry, raconte la mort de sa femme: «L'ignorante sage-femme que nous avons dans cette commune, ne pouvant venir à bout de retirer l'arrière-faix, s'en va appeler un particulier d'ici nommé Emmanuel Carraux, qui se mêle de médecine, de chirurgie, de symbologie, sans patente, sans théorie (car à peine sait-il lire sa prière). Cet homme-là arrive et se met d'abord à l'ouvrage d'entrer avec le bras et, à quatre ou cinq voyages, il enlève avec les griffes tout ce qu'il veut, de sorte que, après le dernier voyage, la patiente se met à expirer et tout fut fini.»

Drame de l'accouchement encore avec l'infanticide Mélanie Chappot, de Martigny, qui, séduite puis abandonnée, accouchera secrètement dans une écurie et, croyant l'enfant mort-né, le cachera dans le foin. Dénoncée par un juge local, elle «est exposée une heure durant en place publique un jour de marché avec un écriteau portant la mention fille prostituée soupçonnée d'avoir tué son enfant, elle est fustigée tous les quinze pas depuis ladite place du carcan jusque sur la place de Martigny-Ville; elle est ensuite marquée sur l'épaule de l'empreinte du fer chaud; elle est recluse à perpétuité à la maison de force; enfin elle doit payer les trois quarts de frais de tribunal.» Mélanie Chappot passera dix-neuf ans en prison, où elle entre à l'âge de 20 ans. Dès sa libération, on perd sa trace. Une trace aujourd'hui retrouvée pour servir d'exemple à «toutes celles qui œuvrent avec opiniâtreté pour que la société valaisanne cesse de claudiquer et marche enfin sur ses deux jambes».

Marie-France Vouilloz Burnier et Barbara Guntern Anthamatten: «Valaisannes d'hier et d'aujourd'hui», Editions Monographic-Rotten Verlag (édition bilingue).