La SSR saisit la justice européenne dans l’affaire Giroud
Télévision
En février, le Tribunal fédéral confirmait la condamnation d’un reportage de «Temps présent» sur Dominique Giroud. La SSR porte aujourd’hui l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme

Le bras de fer entre l’encaveur valaisan Dominique Giroud et la SSR se poursuit. La Société suisse de radiodiffusion conteste le jugement rendu par le Tribunal fédéral le 15 février dernier sur le reportage de l’émission Temps présent et saisit aujourd’hui la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Dans un communiqué délivré mardi matin, Temps présent et la SSR estiment que «cette décision soulève des questions importantes qui relèvent de la liberté des médias au sens de l’article 10 CEDH». Ils entendent dès lors soumettre à l’examen de la Cour européenne les considérants du Tribunal fédéral, qui, de leur point de vue, constituent des restrictions susceptibles d’entraver notablement le travail d’enquête journalistique.
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Le reportage de Temps présent «Affaire Giroud, du vin en eaux troubles», consacré aux dysfonctionnements du système suisse de contrôle des vins, avait été diffusé sur la RTS à la suite des révélations du Temps sur le fait que Dominique Giroud était visé par une enquête pénale fédérale pour fraude fiscale. La chaîne publique avait ensuite consacré une série de reportages aux pratiques jugées douteuses du vigneron en matière de mélanges de vins.
«La décision du TF porte atteinte à toute la profession journalistique»
«Je suis très satisfait que la SSR ait le courage de défendre les droits des journalistes jusqu’à la plus haute instance», commente – à titre personnel en sa qualité de recourant – Jean-Philippe Ceppi, producteur de l’émission. «Nous estimons que nos droits de journalistes sont atteints et que, plus largement, cette décision porte préjudice à toute la profession. Au moment du tournage, Dominique Giroud n’a pas souhaité participer à notre enquête. Or, il nous est reproché aujourd’hui de ne pas avoir suffisamment restitué son point de vue, en son absence. Cela s’apparente à un droit de veto sur le travail des journalistes et induit un effet d’intimidation, qui peut les inciter à renoncer à ce type de recherche. Si cette décision n’est pas cassée, les journalistes risquent d’être incriminés à chaque fois que les parties choisissent la politique de la chaise vide.»
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Dans sa décision, la haute cour avait estimé que l’émission violait l’article 4 de la loi fédérale sur la radio et la télévision, qui oblige à présenter fidèlement les événements. Dans son reportage, Temps présent avait notamment rappelé le passé catholique intégriste de Dominique Giroud. «On ne voit pas […] en quoi l’opinion de Dominique Giroud sur l’avortement ou l’homosexualité aurait un quelconque lien avec le sujet du reportage, à savoir le marché suisse des vins et sa surveillance», avait critiqué le Tribunal fédéral dans sa décision.
Jusque-là, «Temps présent» s’en est toujours sorti
La RTS aurait également dû rappeler dans l’émission qu’un conflit personnel opposait Dominique Giroud à l’un de ses journalistes, a aussi estimé le TF. Ce dernier avait couvert l’affaire en utilisant des informations que lui donnait en sous-main un détective privé travaillant pour Dominique Giroud. Il a depuis quitté la télévision et travaille pour l’administration fédérale.
«Temps présent» a sali intentionnellement la réputation de mon client»
«L’annonce du jour est une bonne nouvelle à double titre», estime le conseiller en communication de l’encaveur, Marc Comina. «D’une part parce que la SSR dit enfin aux téléspectateurs romands ce qu’elle leur cache depuis six mois, à savoir que Temps présent a été très sèchement condamné par son Autorité de surveillance, puis le Tribunal fédéral, pour avoir violé la déontologie et sali intentionnellement la réputation de mon client. Je pèse mes mots: il est honteux qu’elle ne l’ait pas fait plus tôt et l’Autorité de surveillance l’a d’ailleurs officiellement «déploré». D’autre part, parce que cela semble indiquer que la SSR, qui n’a aucune chance d’obtenir gain de cause devant la CEDH et qui doit encore assumer devant le Conseil suisse de la presse les dérives scandaleuses d’un ex-journaliste du 19h30, cherche avec ce recours à se positionner en vue d’une solution négociée avec mon client.»
C’est seulement la troisième fois en quelque cinquante ans d’existence que Temps présent est condamné de la sorte. Aucune condamnation n’est jamais entrée en force, le Tribunal fédéral ou la Cour européenne des droits de l’homme ayant cassé les précédentes décisions. Le dernier cas remonte à septembre 2006, où la CEDH avait désavoué le Tribunal fédéral au sujet d’un reportage sur le rôle de la Suisse durant la Deuxième Guerre mondiale, diffusé en 1997.
Dans l’attente de la décision de la CEDH, l’arrêt du TF demeure pleinement valable et en force.