Martin Beniston: Il y a des similitudes entre les deux programmes mais ils seront complémentaires. Nous voulons, d’une part, comprendre comment les composantes du cycle hydrologique vont changer dans le bassin du Rhône, mais également dans celui du Pô, en Asie centrale ou en Amérique latine. Ce qui se passe à Santiago, au Chili, pourrait bien se produire en Suisse dans cinquante ans. L’accès à l’eau y est difficile, et c’est dû au recul des petites calottes glacières dans les Andes. Notre deuxième objectif est de comprendre comment les différents secteurs économiques qui dépendent de l’eau peuvent composer avec une nouvelle donne. Sans doute une meilleure gouvernance peut-elle éviter que tous ces acteurs n’entrent en conflit pour s’octroyer l’eau.
– Vous avez déjà une partie de la réponse?
– La façon dont les collectivités ou les acteurs économiques s’attribuent l’eau dépend du contexte sociopolitique. En Suisse, la notion de propriété de l’eau est très liée à la commune et au canton. Au Chili, c’est celui qui tape le plus fort sur la table qui obtient l’eau. Nos résultats devront pouvoir guider les politiques publiques de l’Union européenne. Mais la transmission de l’information scientifique au monde politique est souvent la partie la plus complexe d’un tel projet. Le fait que le Valais s’engage est donc réjouissant de ce point de vue-là. Il n’en sera que plus réactif.
– Cet hiver nous offre des sursauts météorologiques emblématiques. Faut-il les mettre sur le compte du réchauffement climatique?
– Quand on assiste à de grandes anomalies saisonnières comme cet hiver, c’est une tentation légitime. Mais il faut rappeler que le réchauffement climatique provoqué par le renforcement des gaz à effet de serre n’est qu’un élément parmi d’autres expliquant ces variations. Le redoux que nous traversons actuellement, qui a succédé à une période de froid et de neige, est provoqué par l’oscillation de l’Atlantique Nord, un phénomène de renforcement et d’affaiblissement successif de l’anticyclone des Açores. Les modèles de climat prédisent au contraire que les étés seront de plus en plus secs et que les précipitations seront plus abondantes en hiver.
– Le manque d’eau compromettra fatalement la production hydroélectrique, couvrant 60% des besoins du pays en électricité. Que préconisez-vous à ce stade?
– Pour l’instant, les barragistes se frottent les mains. Le réchauffement climatique fait fondre la glace et remplit leurs infrastructures. Ils savent néanmoins qu’il faut réfléchir à plus long terme, trente ou quarante ans. Pour trouver des solutions, il faut déterminer quel sera le caractère des débits d’eau dans la deuxième moitié de ce siècle. Ceux-ci seront de moins en moins liés au comportement du manteau neigeux. Nous assisterons à une transition vers des régimes méditerranéens, saisonniers, soit autant de précipitations en moyenne sur l’année, mais davantage en hiver et moins en été. Se posera la question du stockage en hiver à laquelle les installations de pompage-turbinage répondent en partie.
– L’Université de Genève a décroché le budget de la Commission européenne (6,5 millions d’euros) pour Acqwa en 2008. Pouvez-vous livrer les premiers résultats?
– C’est encore un peu tôt pour donner des conclusions. Mais nous avons obtenu des résultats probants sur les ressources en eau et publié 80 articles dans des revues scientifiques. En parallèle, et ce n’est pas si anecdotique que cela, des négociations sont en cours avec des administrations d’universités partenaires pour compenser la perte du budget qui avait été négocié en euros. Nous avons perdu environ un quart du budget en raison de la cherté du franc suisse.