Comme un coup de tonnerre dans un ciel bleu, une coulée de boue et de rochers gronde dans le torrent du Péterey, au-dessus de Zinal. En été 2012 et par grand soleil. Un phénomène lié à la fonte du pergélisol, le sol gelé à l’année qui recouvre 5 à 6% du territoire suisse en haute montagne. L’Université de Fribourg, celle de Lausanne, le canton du Valais, l’Institut fédéral de recherche sur la neige et les avalanches (SLF) et un réseau de surveillance appelé «Permos» travaillent à comprendre ce phénomène, dont on peine encore à évaluer les conséquences exactes. «Ce problème est assez grave en Suisse parce que les vallées sont très habitées, les pentes sont raides et l’on manque de place pour le stockage des matériaux qui tombent dans les vallées», résume Marcia Phillips, cheffe du groupe de recherche sur le permafrost au SLF.

Dans son bureau, Jean-Daniel Rouiller, géologue cantonal valaisan, commente la vidéo tournée par un observateur installé sur un petit pont en bois que la coulée frôle. «Il s’agit d’une lave torrentielle spontanée, c’est-à-dire qu’elle n’est pas déclenchée au moment d’importantes précipitations mais par grande chaleur», explique-t-il. Un phénomène que le rapport 2012 du Centre valaisan de recherche sur l’environnement alpin (Crealp) décrit comme un signe possible de l’accélération du dégel du permafrost lié au réchauffement climatique.

A Zinal, le glacier Bonnard avance chaque année en direction de la falaise qui surplombe le village. C’est un glacier rocheux, soit un mélange de glace, de terre et de gravats. Avec le réchauffement climatique, sa glace se réchauffe, devient plus meuble et avance en direction de la pente. D’un mètre par année pour la glace la plus à fleur de falaise. Lors de fortes chaleurs ou de précipitations importantes, ces pans actifs du glacier peuvent se détacher et lâcher des milliers de mètres cubes d’eau, de boue et de gravats dans les deux torrents auxquels il est directement connecté. Lesquels arrivent dans le village de Zinal.

Depuis trois ans, les géologues du Crealp procèdent à des forages sur le glacier Bonnard. Ils estiment qu’il représente un million de mètres cubes et qu’il comporte deux zones dangereuses au-dessus des torrents, la plus importante représentant 30 000 mètres cubes de matériau gelé au-dessus du torrent du Péterey.

La commune d’Anniviers a entrepris des travaux pour sécuriser le village. A l’arrivée des torrents dangereux, plusieurs cuvettes, appelées «dépotoirs», avaient été construites dans les années 60 pour arrêter les avalanches. Elles ont dû être élargies pour accueillir les laves de la belle saison, leurs murs ont été surélevés et de nouvelles digues ont dû être érigées à certains endroits.

«Les murs font une dizaine de mètres de haut», décrit Simon Epiney, président de la commune d’Anniviers. La commune craignait qu’ils ne soient pas esthétiques, situés comme ils le sont: en plein cœur de la station. «En fait, c’est une très bonne surprise parce que le village est plus beau avec ces digues arborisées, note-t-il. Depuis 2009, nous avons investi chaque année quelque 2 millions dans ces ouvrages et allons investir encore 1,5 million en 2013 et en 2014. 80% de ces coûts sont pris en charge par les subventions de la Confédération et du canton pour la protection contre les dangers naturels.» Ensuite, la commune sera au bout du programme concernant Zinal, mais s’attellera à la protection contre les avalanches dans d’autres régions de la vallée. Selon l’Office fédéral de l’environnement (OFEV), il n’existe pas d’estimation globale des coûts engendrés en Suisse pour protéger les infrastructures des conséquences du dégel du permafrost, les subventions fédérales étant évaluées pour l’ensemble des dangers naturels.

Chaque année, la commune d’Anniviers doit aussi évacuer les déchets accumulés dans les dépotoirs, quelque 3500 mètres cubes par an pour celui du Péterey. «Pour que les retenues soient efficaces en cas d’avalanche, il est impératif de les vider chaque automne, explique Jean-Daniel Rouiller. Jusqu’à aujour­d’hui, nous avons utilisé ces matériaux pour la construction des digues et pour combler divers trous dans le village, mais à terme nous manquerons de place.» Il imagine que ces gravats naturels pourraient être déposés sur l’alpage du Plat de la Lé, mais ce dernier est une zone alluviale importante, qui va être réaménagée pour compenser les pertes écologiques liées à la construction d’une remontée mécanique entre Zinal et Grimentz. Il s’agira donc de négocier avec les associations de protection de la nature pour savoir s’il est possible d’y déposer ces déchets.

Combien de pergélisols en mouvement menacent-ils ainsi des villages ou des infrastructures en Valais? Selon Jean-Daniel Rouiller, il y en aurait une vingtaine, avec des degrés de dangerosité moins importants qu’à Zinal, mais le Valais n’a pas encore terminé de les répertorier, comme l’exige la Confédération.

«Nous recommandons aux cantons une surveillance et une connaissance des changements potentiels du permafrost», explique Hugo Raetzo, spécialiste du permafrost et de sa surveillance à l’OFEV. La Confédération vient d’ailleurs de lancer un nouveau programme d’observation par satellite des terrains de haute montagne. «Des mesures de protection ont été prises à Zinal, mais il est important de poursuivre le monitoring de la glace et de la roche pour éviter qu’une lave torrentielle plus importante ne se déclenche de manière inattendue. Par ailleurs, si les risques peuvent être réduits en observant attentivement l’évolution des sols gelés, il est possible de les diminuer de manière encore plus efficace en évitant de construire des maisons ou des infrastructures dans les zones menacées. C’est ce type de stratégie que la Confédération recommande en priorité, raison pour laquelle elle soutient financièrement l’établissement des cartes de dangers.»

Une révolution dans la philosophie de la gestion des risques intervenue en 2007 au niveau fédéral et qui pourrait modifier passablement le contour des zones à bâtir en montagne. «Il n’existe jamais de protection absolue parce qu’il existera toujours des événements dépassant les valeurs prévues», soulignait encore un rapport de la Confédération publié la semaine dernière sur l’impact du réchauffement climatique. A Gutanen (BE), les laves torrentielles de 2010 et 2011 avaient mis à nu le principal gazoduc qui traverse la Suisse du nord au sud. «Des chalets construits trop près de la rivière ont dû être abandonnés», note Marcia Phillips.

Les événements de ces dernières années permettent cependant de distinguer quelques-uns des sites problématiques en Valais. Il y a d’abord le cas exceptionnel des cinq glaciers rocheux de la vallée du Cervin. Puis, le petit train qui relie Martigny à Orsières, touché par une lave torrentielle en juillet 2006. L’entrée de l’une des galeries du Grand-Saint-Bernard, qui a subi deux coulées en 2011 et 2012. A la Fouly, au fond du val Ferret, la seule route d’accès au village est régulièrement menacée. L’Université de Lausanne surveille encore les hauts d’Arolla, d’où des laves torrentielles coulent jusqu’à la Borgne et peuvent l’obstruer.

«Il est importantde poursuivre le monitoring de la glace et de la roche»