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Vous avez dit (G)rütli?

Romands et Alémaniques poussent la différence jusqu’à donner un nom différent à la prairie originelle de la Suisse

Les festivités du 700e anniversaire de la Confédération (1991), sur la prairie du Grütli. — © STR/Keystone
Les festivités du 700e anniversaire de la Confédération (1991), sur la prairie du Grütli. — © STR/Keystone

C’est la question à 1000 vrenelis: pourquoi les Romands et les Tessinois appellent-ils Grütli la célèbre prairie dominant le lac des Quatre-Cantons, que tous les Alémaniques connaissent comme le Rütli?

Ceux qui pensent que le terme familier aux Latins est une «traduction» de l’original alémanique se trompent. Le G, selon d’autres, auraient été ajouté pour rendre plus facilement prononçable par les francophones le nom du lieu patriotique par excellence, ce qui n’est pas davantage vrai.

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L’explication la plus solide: des deux variantes de ce lieu-dit, l’une s’est imposée en Suisse alémanique, l’autre dans les cantons latins. Rütli tout comme Grütli viennent du verbe médiéval «reuten» (défricher) et veulent donc dire «petit terrain déboisé». C’est l’équivalent du mot «essert», que l’on retrouve fréquemment dans la toponymie de Suisse romande.

La Société du Grütli

Au XIXe siècle, les deux appellations semblent avoir été utilisées en parallèle par les Alémaniques. Rütli a toutefois fini par l’emporter, tandis que la prairie se voyait confirmer sa place de premier plan dans la symbolique nationale. Romands et Tessinois en revanche ont préféré Grütli.

L’existence de la Société du Grütli (Grütliverein) peut avoir joué son rôle dans cette évolution divergente. Composée d’artisans, puis d’ouvriers, cette société nationale avait été fondée à Genève en 1838 et elle a beaucoup contribué à populariser chez les Welsches le nom du site. Défendant la solidarité sociale, elle a été une sorte d’anticipation du Parti socialiste, dans lequel elle a fini par se dissoudre en 1901. C’est à cette Société du Grütli que la Maison des arts du Grütli, à Genève, doit son nom.

1291 ou 1307

La prairie au bord du lac d’Uri est connue comme un lieu de mobilisation patriotique, en Suisse centrale notamment, au XVIIe siècle déjà. C’est pour empêcher un projet de construction qu’elle a été acquise en 1859-1860 grâce à une souscription nationale et offerte à la Confédération. Elle a pris dans les décennies suivantes l’apparence générale qu’elle a encore aujourd’hui. Le lieu a été choisi à la fin du XIXe siècle pour y célébrer les 600 ans de la Confédération, ce qui fut fait en 1891. L’impatience des autorités de l’époque explique, autant sinon plus que les pièces historiques, que l’on ait choisi comme date de référence 1291, alors que 1307 avait longtemps prévalu.

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Le 25 juillet 1940, c’est le Rapport du Grütli. Le général Guisan appelle les officiers, et indirectement le peuple suisse, à résister aux puissances de l’Axe. Dans les semaines précédentes, l’Allemagne avait occupé la France et le président de la Confédération, Marcel Pilet-Golaz, avait tenu une allocution défaitiste. A partir de 1998, des manifestations d’extrême droite perturbent les discours du 1er Août et la prairie fait l’objet de toutes les récupérations, au point que des règles strictes d’utilisation sont établies. Lieu du repli identitaire ou de la liberté universelle, le (G)rütli inspire les tenants de l’un comme de l’autre.