La cohésion nationale à l’épreuve du covid
Crise
Cette pandémie, sans précédent, interroge le système suisse et principalement le fédéralisme

L’année 2020 a-t-elle été celle de la cohésion ou de la décohésion nationale? Probablement les deux. Au printemps, la grande majorité des Suisses étaient derrière le Conseil fédéral et se sont montrés fort dociles. Alain Berset et Daniel Koch étaient alors les héros que tout le monde écoutait.
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Bouleversement cet automne. La défiance a remplacé la confiance. En fait, la cohésion nationale existe-t-elle réellement en Suisse? Ou se limite-t-elle à un sentiment de fierté lorsque Roger Federer remporte de grands tournois ou que les équipes nationales de hockey ou de foot s’illustrent?
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Interrogeons le passé avec l’historien Hans-Ulrich Jost: selon lui, depuis le XVIe siècle, il y a très peu de perspectives communes, le pays est plutôt marqué par des dissensions et des indépendances opportunistes. «A l’époque, la tentative de créer une Diète avec un système majoritaire a échoué.» Le professeur honoraire de l’Université de Lausanne qualifie notre système moderne «d’une vie communautaire construite dans la différence» et qui est basée sur des mythes comme celui d’être la plus vieille démocratie du monde ou le 1er Août. Hans-Ulrich Jost considère que chaque canton vit pour lui et que c’est grâce à cette indifférence que tout n’éclate pas. En souriant, il glisse: «En Suisse alémanique, on dit qu’on ne comprend pas bien le français, c’est pour ça qu’on aime bien les Romands.»
Politiciens divisés
Cette crise a été marquée par des tensions entre les régions linguistiques. Rien de nouveau, selon Hans-Ulrich Jost: «Dans les années 1880-1890, les injures étaient nettement plus fortes qu’aujourd’hui contre les Romands. Dans la NZZ, certains, dont le grand-père de Christoph Blocher, voulaient carrément abolir le bilinguisme.» L’ancien professeur de l’Unil reconnaît tout de même qu’il y a certains moments de cohésion nationale, comme lors des catastrophes naturelles ou de la pandémie: «Mais cette solidarité est un feu de paille.»
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La cohésion est aussi un thème qui a passionné et divisé les politiques. La conseillère aux Etats genevoise Lisa Mazzone a un avis tranché: «Il n’y a pas eu de cohésion nationale. Le «Coronagraben» a d’ailleurs déjà débuté au printemps.» Qu’aurait-il fallu pour que cette unité existe? «Les cantons auraient dû parler d’une seule voix, cette dissonance entre eux a creusé le lit de la décohésion. Ils auraient dû être plus magnanimes et avoir une vision moins locale», affirme la Verte genevoise.
Romands incompris
Cette absence de solidarité, Lisa Mazzone l’a aussi constatée au parlement: «La majorité peine à comprendre les besoins des Romands, on l’a vu pour des sujets comme les crèches ou la culture.» La conseillère aux Etats n’a pas apprécié certaines remarques: «Plusieurs Alémaniques nous ont dit qu’on ne savait pas se tenir, cela a fait des dégâts, c’est blessant.» De tels actes sont révélateurs: «Il n’y a pas beaucoup de cohésion et surtout de compréhension de l’autre.» Elle ne cache pas son agacement: «On sent vraiment la prédominance alémanique, ce sont eux qui décident.»
Perception différente chez un autre sénateur, le Bernois Hans Stöckli. Selon lui, cette crise a renforcé la cohésion nationale: «Dans les premiers mois, lors de cette situation extraordinaire, toute la Suisse, y compris les Alémaniques, a suivi les mesures ordonnées par le Conseil fédéral. Après, lorsque les cantons ont repris la main, l’esprit national n’a pas été le même et il y a eu une certaine concurrence entre eux… C’était à qui allait rouvrir le plus vite ses commerces ou ses restaurants.» Toutefois, pour le conseiller aux Etats socialiste, en période de crise notre système est capable de renforcer la cohésion nationale, même s’il y a des fissures. Hans Stöckli estime que le peuple ne s’est jamais vraiment divisé, contrairement aux cantons ou aux politiciens.
Redéfinir la balance entre fédéralisme et centralisme
Toutefois, l’ancien maire de Bienne appelle à des changements: «la balance entre fédéralisme et centralisme doit être redéfinie, il faut être plus flexibles, rechercher l’équilibre. Et le bon équilibre, c’est précisément la cohésion nationale.» Hans Stöckli reconnaît que notre système collégial prolonge le processus décisionnel, mais il augmente son taux d’acceptation. Il insiste aussi sur l’importance que les différentes sensibilités régionales et politiques soient représentées au sein du Conseil fédéral: «Le gouvernement cherche toujours à avoir la population derrière lui.»
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Du côté des cantons, on jette aussi un regard critique sur la gestion de la crise: «Il y a eu un emballement et la Confédération a oublié que, même si elle a pris le contrôle des opérations selon les dispositions de la loi sur les épidémies, ce sont les cantons qui appliquaient les décisions», affirme Pascal Broulis, président de la Conférence des gouvernements de Suisse occidentale. Il rappelle que «les cantons détestent le fédéralisme d’application».
Pour éviter que de tels «flottements» ne se reproduisent, le conseiller d’Etat vaudois insiste sur la nécessité de «renforcer la coordination, l’anticipation et le dialogue». Les tensions entre Romands et Alémaniques ne l’inquiètent pas et, après la désorganisation, il parle déjà de reconquête via la coordination au sein des conférences des gouvernements cantonaux. Elle a commencé. Les Suisses connaissent désormais mieux leur pays grâce aussi aux nombreuses excursions faites dans celui-ci. Président de la Fondation ch pour la collaboration confédérale, il se réjouit surtout que les courses d’école se fassent désormais uniquement en Suisse. La fondation s’apprête d’ailleurs à publier un guide pour les enseignants afin de consolider les échanges scolaires et les courses d’école. Un pas vers plus de cohésion nationale.
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