Le «coronagraben» suit la courbe des infections
Santé publique
L’épidémie a révélé des divergences entre régions linguistiques au moment fort de la crise. A l’heure du déconfinement, elle semble avoir plutôt un effet rassembleur

La crise mondiale du Covid-19 va-t-elle changer la pratique politique, l’économie, la société, la culture? Nous consacrons une série de près de 30 articles à ce sujet, durant plusieurs jours sur notre site, et dans un numéro spécial le samedi 13 juin.
Retrouvez, au fur et à mesure, les articles dans ce dossier.
La manière de vivre l’épidémie de Covid-19 s’est révélée diamétralement différente que l’on habite en Appenzell Rhodes-Intérieures – où le virus n’a fait aucun mort – ou sur l’Arc lémanique, où les hôpitaux ont frôlé la surcharge. Entre Latins et germanophones, les divergences de points de vue se sont manifestées à plusieurs reprises durant la crise sanitaire. Outre-Sarine, les critiques des milieux politiques et économiques à l’encontre des restrictions imposées par le Conseil fédéral se sont fait entendre de manière bien plus nette.
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Des écarts qui s’atténuent
Du côté des citoyens, un sondage de l’institut Sotomo montrait fin mars que 64% des Romands et 68% des Tessinois estimaient les mesures du Conseil fédéral trop tardives ou pas assez strictes, tandis que les Alémaniques n’étaient que 42% à le penser. Pourtant, avec le temps, ces écarts se sont réduits: «Au début, il y a eu un élan de panique en Suisse romande, plus touchée, mais aussi influencée par la crise en France. Puis les cas d’infection ont diminué. On s’est rendu compte que l’on pouvait maîtriser la situation. Dès lors, les différences de perceptions entre régions se sont atténuées», souligne le politologue Michael Hermann. C’est ce que révèlent deux autres sondages, réalisés en avril et mai.
Le Zurichois poursuit: «Au moment fort de la crise, on a vu ressurgir des préjugés: en Suisse alémanique, on a eu tendance à penser que ce virus était un problème de Latins indisciplinés tandis que, côté romand, on redoutait que le laisser-faire alémanique ne conduise le pays dans le mur. Craintes qui ne se sont pas confirmées.» A l’heure du déconfinement, la Suisse passe même pour un modèle, pour être parvenue à maîtriser la situation avec des mesures moins strictes qu’ailleurs. Résultat: «Les Suisses peuvent désormais éprouver une fierté commune face aux pays voisins: finalement, le pays s’en sort plutôt bien.»
Un centralisme inhabituel
Sarah Bütikofer, politologue à l’Université de Zurich, relève de son côté l’effet «unificateur» des décisions prises par le pouvoir central. Car, quel que soit le degré d’urgence ressenti, les mesures de restriction ont été les mêmes dans l’ensemble du pays: «C’est inhabituel pour la Suisse, familiarisée au système fédéral dans lequel chaque canton agit en fonction de ses réalités. Mais je pense que c’est ce qui permettra au pays de maintenir une certaine unité et d’éviter qu’un fossé ne se creuse après la crise.»
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Philipp Trein, spécialiste de politiques publiques et santé publique à l’Université de Lausanne, a effectué, avec une équipe, un sondage pour évaluer les attentes de la population après la crise. Il relève des différences de perception habituelles entre Romands et Alémaniques quant au rôle du pouvoir public: par exemple, les francophones se disent un peu plus prêts que les germanophones à investir dans une meilleure préparation en vue d’une prochaine pandémie. Mais ce qui a surpris le chercheur, c’est plutôt la faiblesse de ces divergences: «Au final, la grande majorité des sondés se déclare favorable à une régulation par l’Etat de l’industrie pharmaceutique. C’est le signe d’une volonté d’être protégé. Devant l’urgence, les divergences habituelles s’atténuent.» Le politologue l’explique par l’effet de «rassemblement autour du drapeau», qui se manifeste en temps de crise.
L’unité résistera-t-elle au déconfinement? «Il est trop tôt pour le dire. Mais un sujet reviendra assurément à l’agenda: les coûts de la crise. Et là, peut-être qu’on verra ressurgir les différences. Mais elles seront probablement atténuées par le fait que, dans l’ensemble, le système hospitalier suisse a bien résisté.»
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