Un Genevois qui va se faire couper les cheveux dans le canton de Vaud, des Neuchâtelois qui vont s’attabler dans un restaurant bernois, une Bernoise qui va au fitness à Soleure. Depuis des semaines, le patchwork de mesures sanitaires édictées par les cantons pour lutter contre la deuxième vague de Covid-19 échauffe les esprits, tend les relations entre autorités cantonales, déconcerte une population qui en perd son latin et émaille fortement l’union sacrée qui avait majoritairement prévalu lors de la première vague. La deuxième vague serait-elle révélatrice des limites du modèle fédéraliste?

Lire aussi l'article lié: Entre Berne et les cantons romands, un dialogue de sourds

Un fédéralisme concurrentiel problématique

Une comparaison entre les Etats unitaires comme la France, qui édicte des mesures centralisées, et les Etats fédéralistes, comme l’Allemagne, l’Autriche ou la Suisse, a permis aux experts en économie du Centre de recherches conjoncturelles (KOF) de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich de conclure que les régimes fédéralistes affichent de meilleurs résultats en termes de gestion de crise que les systèmes centralisés.

Néanmoins, les économistes pointent une différence significative entre les voisins allemand et autrichien, où le fédéralisme se base sur la coopération entre le gouvernement, les Länder et les communes, et le modèle suisse, qui repose davantage sur la concurrence, ce qui pousse les cantons à se regarder en chiens de faïence.

Lire aussi: Le Conseil fédéral fâche les cantons romands avec de nouvelles mesures contre le coronavirus

Passif plutôt que proactif

«Dans un tel système, les incitations sont fortes pour les cantons d’adopter une attitude passive, dans l’espoir peut-être que les régions voisines réagissent plus rapidement et que cela avantage son propre canton. Ou alors, à l’inverse, par manque de récompense, les cantons pourraient renoncer à prendre des mesures qui ont un coût financier car elles risqueraient de profiter aux voisins», analyse le directeur du KOF, Jan-Egbert Sturm.

Cette attitude s’est confirmée lundi encore. Alors que la Confédération avait sommé certains cantons alémaniques de durcir leurs mesures sanitaires face à un nombre de contaminations qui stagnait à un niveau très haut, les autorités argoviennes renonçaient pourtant à durcir leurs mesures, préférant attendre de voir la réaction des autres régions incriminées. «Se précipiter serait faux, il est indispensable de mener une coordination interrégionale», martelait alors le ministre de la Santé argovien, Jean-Pierre Gallati, qui précisait être en contact avec les cantons voisins.

Lire également: Ces cantons alémaniques qui font la sourde oreille

Quand tirer la sonnette d’alarme?

Face à cette deuxième vague qui met à mal le fédéralisme, tant en Suisse que dans les pays voisins, les économistes s’accordent pourtant à dire que cette pandémie ne doit pas remettre en question ce système, qui a fait ses preuves dans de nombreuses situations.

Reste que dans une situation de crise extraordinaire, il est impératif de développer des outils qui permettent une lutte plus efficace, par exemple en déterminant à quel moment l’Etat doit reprendre la main. L’Allemagne et l’Autriche se sont par exemple dotés d’un système de couleurs qui détermine le seuil d’incidence et les mesures à prendre.

Lire encore notre éditorial: Le coup de sang de 19h

Dans l’immédiat, le directeur du KOF juge prématuré de se pencher sur les conséquences financières de la crise sanitaire. Et de conclure par ce conseil aux autorités: «La maison brûle, les pompiers sont là. Dans ce contexte, il s’agit de l’Etat. Il est inutile de savoir combien l’intervention va coûter. Les dégâts seront encore plus importants si on est trop prudents.»

Lire enfin: Réouverture des bars romands, la cacophonie en plat du jour